respirons, les arbres sous lesquels nous aimons à nous abriter, les herbes de la terre, que nous avons l’habitude de préparer pour notre table. La châtaigne, ce pain des forêts, l’angélique, cette nourriture des anges et des femmes, les petits pois, au retour desquels se lie volontiers l’accomplissement d’un vœu et d’un projet, tout cela exerce sur le cœur des influences délicates. Quel charme de manger en tête-à-tête avec sa maîtresse de la salade et des fraises au bord d’un ruisseau ! Les fruits ne sont-ils pas la nourriture qui se rapproche le plus du ciel ? A en croire M. Gleïzès, ce sont les fruits qui ont policé l’homme et qui lui ont tout appris. Il attribuait également aux parfums répandus à la terre les facultés de l’esprit, surtout les facultés délicates et poétiques. Sans la violette, cette fleur toute gauloise, nous n’eussions jamais eu La Fontaine. Ce sont les fleurs des champs qui font épanouir chez l’homme le sentiment et la vertu. Les crimes qui se commettent à Paris ne se montrent si nombreux et si atroces qu’à cause des exhalaisons infectes qu’on respire dans cette grande ville. Nous devons uniquement les traits d’humanité qui figurent encore ça et là aux fruits, aux fleurs et aux légumes qui s’étalent dans nos marchés. Si l’on ne vendait plus de bouquets au coin des rues, Paris ferait horreur à Sodome, et serait bientôt brûlé comme la cité maudite. On voit que le remède se lie aisément à la cause du mal : multipliez les marchés aux fleurs, et vous augmenterez le nombre des ocncurrens au prix Montyon.
M. Gleïzès avait étudié en médecine : à une ame tournée vers les brouillards du sentiment il unissait un fonds de connaissances très solides. Le tort du philosophe était de voir les faits avec les yeux de son système. On peut dégager de ses livres trois ou quatre questions sérieuses sur lesquelles l’écrivain a jeté les lumières d’un esprit fin et original, lumières fausses, il est vrai, mais attrayantes. La mort violente est-elle d’institution divine ? On pressent la réponse de M. Gleïzès : non, les habitans du globe n’étaient pas faits à l’origine pour s’entre-tuer ; c’est l’homme qui est l’œuvre de la mort. Les carnassiers actuels vivaient de fruits et de racines avant le grand cataclysme qui a bouleversé la terre ; Dieu ne les avait pas créés destructeurs ; s’ils le sont devenus, le mal a sa source dans les principes d’irritation laissés à la surface du globe par cette dernière crise. M. Gleïzès inclinait sans le vouloir au manichéisme, car il admettait deux principes, l’un bon, l’autre mauvais : le mauvais génie de la terre se serait introduit après coup dans l’œuvre des six jours et en aurait altéré la primitive ordonnance. Ce sommeil de Dieu, durant lequel son ennemi s’est glissé dans le champ de la création pour y semer de l’ivraie, est la vraie cause du meurtre, qui s’est étendu sur toute la terre comme un voile funèbre. Les instincts sanguinaires n’étant pas dans le plan primitif de la création, les tigres et les lions ne sont devenus féroces que par l’effet des