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pas aussi à la chair humaine une saveur très agréable ? A l’appui de cette assertion, l’auteur invoque l’exemple de cette jeune fille de Pondichéry, condamnée à être enterrée vive pour avoir mangé de petits enfans, et qui disait aux spectateurs effrayés, en marchant au supplice : « Oh ! si vous saviez combien la chair humaine est délicieuse, vous n’en voudriez plus jamais manger d’autre ! » Ce qu’il y a de plus alarmant, c’est que les hommes forcés par la nécessité à se nourrir de leurs semblables finissent par perdre toute rougeur au souvenir de cette horrible action. Quelqu’un ayant demandé à l’un des passagers de la Méduse des nouvelles de son frère, qui était sur le fatal radeau, celui-ci, après s’être informé de son nom, répondit : « Je l’ai mangé. – Quoi ! vous avez mangé mon frère ! s’écrie le malheureux. – Non, reprit froidement le premier avec une étrange naïveté, j’étais trop faible ; je n’ai fait que sucer sa chair. »

Nous pourrions définir l’étrange auteur de Thalysie – l’ame d’un brahme dans le corps d’un Français. Si l’idée du régime végétal ne lui appartenait pas, si cette idée nous vient des profondeurs de l’Orient, l’honnête écrivain l’avait transformée en un système social et religieux. S’il s’abstenait de viande, ce n’était pas par pénitence, comme les moines chrétiens ; ce n’était pas non plus qu’il crût, comme les Hindous, à la migration des ames dans le corps des bêtes, et qu’il craignît de commettre un homicide en tuant un animal : non, c’était surtout parce que le vrai et le juste s’insinuent dans notre organisation infinie avec le suc des végétaux. Voilà dans quel sens M. Gleïzès se croyait inventeur. C’était effectivement la première fois qu’on voyait l’hygiène transformée en révélation. M. Gleïzès avait, en un mot, la prétention d’élever l’alimentation à l’état d’influence morale. Selon lui la viande est athée ; les fruits contiennent seuls la vraie religion ; les fruits sont l’enveloppe sous laquelle les bons génies de la terre se rendent visibles. Sans reculer devant l’hyperbole, M. Gleïzès supposait aux végétaux eux-mêmes des passions et des sentimens : il engageait, par exemple, ses disciples à se tenir en garde contre la colère du persil, de l’ail et de l’oignon. C’est aux plantes vertueuses et aux fruits qu’il faisait honneur de l’amour du pays. Notre vie est enveloppée comme notre intelligence dans celle du globe ; il existe en nous des liens avec la terre et avec ses productions ; de là cette langueur qui suit l’éloignement des climats où nous avons ouvert les yeux et la privation de ces dons premiers de la nature. Quand un nègre se jeta sur le palmier du Jardin des Plantes pour le serrer contre son cœur, c’était sa patrie qu’il embrassait. L’Hindou de la caste des Banians pare l’arbre le plus précieux de son verger des ornemens de sa femme. N’est-ce pas aussi un arbre à fruit que la jeune mère avec sa fraîcheur, ses graces et sa fécondité ? L’ordre de nos pensées, selon M. Gleïzès, est en rapport avec les fleurs que nous