Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/849

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parmi les herbes traînantes. Soutenue par la puissance de son père et par la sienne propre, elle devait changer la face de l’Orient, qui devait changer plus tard celle du monde L’ange de la beauté et l’ange de la mélancolie la couvraient de voile de graces. On devine le secret de cette supériorité : le sang qui abreuve aujourd’hui presque toute la terre, le sang ne s’était jamais approché des lèvres de la jeune vierge. Son père, sage vieillard, avait nourri ses filles du lait de la nature, et il les vit grandir parmi les fleurs. La volupté de la Perse, la fierté de l’Arabie, la richesse de l’Égypte, la grace de la Syrie, entraient dans leur ame avec les fruits et les parfums de ces contrées. Ce vieillard plaçait dans les solitudes du Liban le berceau d’une société nouvelle, fille de ses rêves ; il avait une doctrine particulière, fondée sur les rapports visibles de l’homme avec la nature, et comparait cette nature, dans laquelle le mal s’était introduit, à une colombe qui aurait couvé avec ses propres oeufs ceux qu’un serpent aurait glissés dans son nid. Il était sûr de revivre, parce que le bien est immortel, et il espérait se mêler, en l’augmentant, à la source pure qui devait un jour remplir l’univers. Ce roman a le défaut de tous les ouvrages de fantaisie où l’auteur se met sans cesse à la place de son personnage.

Les divers écrits que nous avons nommés n’étaient que le prélude du grand ouvrage auquel l’excentrique penseur travaillait depuis seize années : Thalysie ou la Nouvelle Existence[1]. Les anciens nommaient thalysies les offrandes de fruits et de blé qu’on faisait aux dieux pendant les fêtes aïréennes célébrées par les laboureurs en l’honneur de Bacchus et de Cérès. L’auteur prétendait en effet ramener sur la terre le culte de la bonne déesse qui tient des épis dans sa main. Ses pleines mamelles étaient un signe de l’abondance et de la fécondité que le régime végétal devait établir parmi les hommes. M. Gleïzès comptait sur le retour de l’âge d’or ; redeunt Saturnia regna. Pour détourner ses semblables de la nourriture funeste à laquelle ils se sont livrés par un écart du goût et de la conscience, il leur montre le meurtre des animaux comme la cause unique de cette sombre cohorte de maux qui assiégent la race humaine. Si l’homme vit peu, s’il souffre beaucoup, s’il meurt sans espérance, c’est la faute de ce couteau tiède qu’il plonge sans cesse dans le sein des autres créatures. Tandis que les philosophes et les socialistes modernes s’ingéniaient à bâtir sur le sable l’édifice du perfectionnement de l’espèce humaine, l’auteur de Thalysie ou la Nouvelle Existence ramenait le problème à des termes beaucoup plus simples : — Ne mangez pas de viande, venait-il dire, et tous les maux dont vous vous plaignez, auxquels vous cherchez depuis si long-temps un remède, tous ces maux,

  1. Cet ouvrage parut en 3 volumes chez le libraire E. Desessart, 1840, 1841, 1842.