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de la Nature[1] n’était qu’une esquisse dans laquelle l’auteur avait jeté les principaux traits de son système. De 1821 jusqu’à la révolution de juillet, il y a une nouvelle lacune dans la vie littéraire de M. Gleïzès. Ces années ne furent néanmoins pas inoccupées. Retiré au château de la Nogarède, près de Mazères (Ariège), il vivait entre l’amour de la nature et un amour plus tendre encore. Les heures qu’il dérobait aux doux entretiens de sa femme étaient consacrées à l’étude. Un des ancêtres de M. Gleïzès, qui présente avec lui une remarquable conformité de caractère et de mœurs, avait habité les mêmes lieux. Officier sarde, il se trouva engagé à l’âge de vingt-deux ans dans une affaire d’honneur, où son adversaire, fils unique de la comtesse de Saint-Sébastien, qui fut la seconde femme de Victor-Amédée II, perdit la vie. L’aïeul maternel de M. Gleïzès se vit contraint, pour sauver ses jours, de chercher un refuge en France. Malgré la coutume immémoriale de notre pays, qui accorde protection aux étrangers, il fut vivement poursuivi par les ordres de la cour de Versailles ; alliée à celle de Savoie. Le malheureux ne parvint à éviter ces poursuites qu’en se jetant dans les montagnes de la Provence. Il vécut ainsi dans de continuelles terreurs jusqu’à l’avènement au trône de Charles-Emmanuel ; même alors des ressentimens personnels lui interdirent l’entrée de sa patrie. Cependant sa famille avait été moissonnée, dans un court espace de temps, par les persécution ou les chagrins. Frappé d’une incurable mélancolie, il s’abstint, avec un cousin-germain, le seul ami qui lui fût resté, de toute nourriture animale. Ce cousin, plein d’aversion pour un monde où chaque pas réveillait en lui l’idée du meurtre, se retira dans un séjour inhabité au milieu des Alpes, et ne tarda pas à se faire chartreux. L’exilé continua, de son ôté, à verser sur les blessures de son ame ce baume d’un régime innocent et pur qui finit par adoucir sa tristesse. On voit par là que le goût de la nourriture végétale était en quelque sorte chez M. Gleïzès une tradition de famille.

En 1830, au milieu de l’effervescence des idées nouvelles, M. Gleïzès publia[2] une brochure intitulée : Le Christianisme expliqué, ou l’Unité de croyance pour tous les chrétiens. En sa qualité de philosophe, l’auteur n’était d’aucune religion ; mais il professait pour celle de son pays un respect motivé. Il croyait, avec les saintes Écritures, que le genre humain avait commencé dans un jardin, in horto paradisi, au milieu des fruits et des légumes, dont il faisait sa nourriture. Ce n’était pas,

  1. Paris, librairie nationale et étrangère, 1821, in-8o. C’est à partir de cette époque que M. Gleïzès, autrefois nommé Gleizes, adopta pour son nom l’orthographe que nous avons conservée. Le motif de cette transformation puérile en apparence prenait sa source dans des idées mystiques. Gleïze, dans un des patois du midi de la France, signifie église. Le sens de ce mot était pour M. Gleïzès le signe de sa prédestination.
  2. Chez Firmin Didot.