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Châteaubriand. Quelques-uns de ces premiers ouvrages sont antérieurs de plusieurs années au Génie du christinaisme. Les Mélancolies d’un solitaire, dont le titre seul indique une pente à la rêverie sentimentale, furent imprimés en 1794. Les Nuits élyséennes sortirent des presses de Didot en 1800, et les Agrestes en 1805. Ce sont des méditations détachées sur des clairs de lune, sur des cimetières, sur des ruines. Montée sur le coursier de l’Arabe, l’imagination de l’auteur parcourt les plaines sablonneuses du désert. Les populations qu’il rencontre sur la lisière de la solitude existent sans qu’il en coûte la vie aux animaux Leur nourriture consiste en dattes savoureuses, en miel plus doux que celui du mont Hymette, en un lait qui coule à flots blancs sous le doigt bronzé des Mauresques. Cette ressemblance entre la couleur des premiers ouvrages du jeune solitaire et la touche des premiers écrits de M. de Châteaubriand méritait d’être notée. C’est ce même demi-jour sentimental des cette poésie en prose qui fait le charme d’Atala et surtout de René. Une telle coïncidence ne saurait être fortuite elle s’explique par l’état de la société. On était à la fin du XVIIIe siècle, le volcan se calmait, le sol de la révolution commençait à se raffermir : c’est le moment où quelques esprits, poussés par la tempête hors de la route commune, flottaient à l’écart dans les régions de la fantaisie. A la fin des guerres civiles, on rêvait avec Horace les îles Fortunées. La littérature, ce miroir des mœurs, tout éprise de mirages et d’oasis, promenait sa tente dans les solitudes de l’Orient ou du Nouveau-Monde. L’homme, fatigué de l’homme, cherchait à se reposer dans la nature. Ajoutez à cela une influence étrangère. Ossian venait d’être exhumé : le vent du nord nous soufflait des nuages et des fantômes. On sait que Napoléon, à son retour d’Égypte, plaçait le fils de Fingal au-dessus d’Homère, et préférait les débris des tours de Morven, frappées des rayons de la lune, aux ruines de la Grèce. Les ombres se répandirent ainsi dans notre ciel et sur le cœur humain, qui fit entendre des accens mélancoliques et vagues, comme la lyre du barde calédonien. Le jeune Gleïzès fut l’un des précurseurs obscurs de cette muse nouvelle qui trouva en France son interprète illustre dans M. de Châteaubriand. On voit que l’auteur des Martyrs n’inventa pas une littérature qui était alors dans l’état brumeux des esprits et dans les influences historiques : il ne fit que lui imprimer le caractère de son génie.

Cette tendance rêveuse introduite dans les lettres devait aller grandissant jusqu’au milieu de la restauration. Pendant la durée de l’ère impériale, M. Gleïsès, tout entier à son antipathie contre Napoléon vécut à l’écart, et ne sortit de son sommeil qu’en 1821. Il fit alors paraître une brochure destinée à servir de prospectus au grand ouvrage qu’il méditait sous le même titre. Thalysie ou le système physique et intellectuel