saint François d’Assise, furent pris par M. Gleïzès au sérieux. Ce n’est pas tout, se dit-il un jour, que de ne pas mettre à mort les animaux de mes propres mains. Celui qui mange de la viande ne prête-t-il pas en quelque sorte ses dents au boucher pour déchirer la victime ? Devant un doute si grave, la conscience du nouveau pythagoricien s’arrêta intimidée. Bientôt cet homme, qui avait vécu depuis son enfance avec les carnivores, eut le courage de s’éloigner de leurs repas. L’art de la cuisine n’était plus à ses yeux que l’art infâme de déguiser des cadavres. Les amateurs de bonne chère étaient des réprouvés qui mangeaient leur propre mort. La moindre odeur de chair cuite produisait sur ses nerfs délicats une impression pénible, dont le siège était surtout dans l’imagination. Le jour même qu’il choisit pour faire la première application de son système, M. Gleïzès se trouva devant une table d’hôte fort délicatement servie. On devine que sa résolution fut mise à une rude épreuve. Une poularde rôtie lui envoyait ses parfums gastronomiques. La tentation était forte, on le pressait d’y céder, l’embarras du convive était grand. Il fallut avouer le motif de son abstinence. Martyr volontaire d’une doctrine nouvelle, M. Gleïzès n’avait d’autres flèches à redouter que celles du ridicule et de la moquerie : ce sont quelquefois les plus blessantes ; il se résigna bravement. Sa manière de vivre l’isolait même de sa femme, Mlle Aglaé de la Baumelle, qui ne voulut pas se condamner sans motif à un carême éternel. Il n’en persévéra pas moins dans la voie qu’il s’était tracée, et cela durant quarante années de sa vie. Sa constance était inébranlable ; sa conviction était parfaite. M. Gleïzès poussait le scrupule jusqu’à préparer lui-même ses alimens, dans la crainte qu’une main étrangère n’altérât la pureté de son régime. Les précautions dont il s’entourait étaient infinies ; il avait une batterie de cuisine qui le suivant dans tous ses voyages. Les herbes accomodées par ses soins exhalaient, disait-il, un parfum si exquis d’innocence, qu’il éprouvait, à les manger, une jouissance fine et délicate inconnue auxs gourmands de chair. De martyr, il devint bientôt agresseur. L’ambitieux chef d’école accusa tous ceux qui ne suivaient pas ses traces d’être les malfaiteurs de la nature. L’indignation n’était d’ailleurs chez lui que le cri de la douceur révoltée. Un homme si maladivement sensible se trouvait fort à plaindre dans notre société brutale, surtout dans nos grandes villes ; son cœur saignait à chaque instant devant quelque trace douloureuse. Le pauvre Gleïzès ne pouvait passer sans frémir devant l’état des bouchers : ces cadaves pendus au croc étaient ceux de ses propres frères qui demandaient justice. Aussi vivait-il, loin du théâtre de ces destructions, dans le monde des livres et de ses pensées.
M. Antoine Gleïzès avait débuté en littérature par des essais où l’on retrouve parfois comme un avant-goût du style et de la manière de M. de