Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/826

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si l’on rassemble les données qui précèdent, on sera frappé de ce fait remarquable, que les lois restrictives, à quelque objet qu’elles s’appliquent, et quelle que soit à d’autres égards la variété de leurs effets, qu’elles surexcitent les manufactures comme en Angleterre, ou qu’elles les dépriment comme nous le voyons en France, ont toute pour conséquence finale d’amoindrir, ou directement ou indirectement, l’agriculture : triste vérité, bien digne des méditations du publiciste et des préoccupations de l’homme d’état.


II.

Appuyé sur les vérités générales qui précèdent, il ne nous sera pas difficile de juger dans son principe et dans ses conséquences la politique commerciale adoptée dans les états les mieux connus. Nous pouvons dire que nous tenons entre nos mains la clé de tous les phénomènes si divers dont l’existence des peuples commerçans nous offre le spectacle. Pas un de ces phénomènes dont nous ne soyons en mesure de rendre compte, pas un pays dont nous ne soyons presque en état de dérouler le tableau intérieur, rien qu’à analyser les dispositions de ses tarifs.

S’il y a des pays dans le monde qui n’aient point de tarifs de douanes, ceux-là sont à coup sûr, en tout ce qui touche à la vie matérielle, les plus heureux, pourvu que les vices d’une administration négligente ou tracassière n’y détruisent pas d’ailleurs les salutaires effets de ce régime bienfaisant. Un juste équilibre s’y maintient entre les productions diverses ; l’agriculture et l’industrie manufacturière y sont également en progrès, bien que celle-là doivent naturellement occuper la première place, surtout dans les pays nouveaux. Point de perturbations fâcheuses, point de crises funestes ; jamais de famines ni de disettes ; ce sont là les fruits amers des systèmes restrictifs. Quant à la classe ouvrière, elle y trouve un travail régulier et constant, bien que le salaire puisse être plus ou moins élevé, selon l’état du crédit.

La Suisse est à peu près dans ces heureuses conditions, et elle en recueille les fruits, quoique la bienfaisante influence de ce régime y soit à bien des égards neutralisée, soit par la division politique du pays, soit encore par des conditions trop géographiques, et surtout par les entraves d’un autre genre qu’on y a multipliées nomme à plaisir. Tous les cantons s’y efforcent, à l’envi l’un de l’autre, de saisir et de grever le produits sous toutes les formes, par des droits généralement faibles, mais répétés à l’infini : droits de licence, d’octroi, de pontonnage, de route, de pavé, de balance, de vente, d’entrepôt, etc. Ces entraves intérieures, qui n’altèrent pas du reste l’application du principe du libre échange, puisqu’elles n’établissent aucune différence de prix entre les denrées étrangères et les denrées nationales, atténuent bien malheureusement