Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/825

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturel de croire que des droits pareils établis sur les denrées du sol développent à leur tour l’agriculture. On a dû comprendre cependant, par tout ce qui précède, que l’analogie n’existe pas. D’abord il est impossible que des lois restrictives provoquent, en agriculture, l’érection d’exploitations nouvelles, puisque le nombre de ces exploitations est fatalement borné par l’étendue du territoire. L’effet de ces lois sera-t-il au moins d’imprimer une activé nouvelle aux exploitations existantes ? Loin de là. Ici tout l’effet de cette excitation artificielle est annulé par le monopole dont les producteurs jouissent. Puisque les droits qui s’appliquent aux denrées du sol tendent invariablement, comme on l’a vu à exhausser la valeur vénale de ces denrées, ils ont pour conséquence première de fermer à l’agriculture les débouchés extérieurs, en rendant la vente de ses produits très difficile, sinon impossible, à l’étranger. En outre, le débouché intérieur se restreint sous l’influence de la même cause. Malgré les droits protecteurs les denrées étrangères ne laissent pas d’arriver sur le marché, parce qu’à mesure que ces droits s’élèvent, comme la valeur vénale des produits nationaux s’élève dans la même proportion, elle offre aux produits étrangers une prime toujours croissante. Pour arrêter entièrement l’importation, il faudrait une prohibition absolue ; mais cette prohibition est impossible, au moins pour le plus important des produits du sol, le blé, car, si elle existait jamais, le prix de cette denrée nécessaire s’élèverait si haut, il produirait en peu de temps un tel excès de misère dans le pays, que les barrières des douanes tomberaient bientôt devant le cri général d’un peuple affamé. L’importation est donc inévitable dans tous les cas. D’où il suit que les droits protecteurs établis sur les denrées du sol, loin d’encourager, d’étendre l’industrie agricole, l’amoindrissent et la restreignent de toutes parts.

Tout ce que nous disons ici paraîtra sans doute étrange au premier abord, car rien n’est plus contraire, nous le savons, aux idées généralement reçues. Qu’on veuille pourtant jeter les yeux autour de soi, et on verra que nous n’avançons rien qui ne soit confirmé d’une manière éclatante par une masse imposante de faits. Nous pourrions invoquer tour à tour à l’appui de ces déductions l’exemple de l’Angleterre, de la France, de la Belgique, du Zollverein allemand et de tous les autres pays où l’importation des denrées du sol a été, à un degré quelconque, restreinte par les lois. On y toucherait en quelque sorte du doigt l’infaillible résultat de ces mesures. On verrait l’exportation des produits du sol diminuer à mesure que les droits protecteurs s’établissent, diminuer encore lorsque ces droits s’élèvent, et enfin cesser entièrement lorsque ces mêmes droits arrivent, comme en Angleterre, à un certain degré d’élévation, et tout cela sans que l’importation de ces produits, plus irrégulière il est vrai, en soit pour cela moins forte.