et qu’ayant fait la guerre au pape nous devions être embrassés par le muphti. Cette comédie, à laquelle l’indifférence philosophique du temps donnait une certaine sincérité, pouvait réussir auprès des musulmans. Jamais, de long-temps au moins, un musulman ne croira qu’un Franc puisse être son libérateur et son allié. Nous nous en apercevons en Algérie, quand nos fidèles décampent, la Légion-d’Honneur sur la poitrine, pour aller rejoindre Abd-el-Kader ; il en fut de même en Égypte, nos protestations de bonne amitié pour le sultan et de dévotion à Mahomet obtinrent peu de créance. Un membre du divan du Caire, qui a écrit en arabe l’histoire de la campagne d’Égypte, y a mis cette phrase bonne à méditer : « Ce qui m’a le plus amusé, c’est quand Bonaparte a dit : — Je suis l’ami des musulmans, et je veux le bien de l’Égypte[1]. »
Et cependant il était vrai que nous venions pour le bien de l’Égypte ! Nous lui apportions la civilisation nouvelle dans les voies de laquelle elle était appelée à marcher avant les autres nations de l’Orient, comme elle avait marché autrefois une des premières dans les voies de la civilisation antique. Alexandrie, en particulier, doit aux Français le commencement de sa régénération. Les Français ont réparé ses fortifications, déblayé ses ports, introduit dans son régime quelques mesures de salubrité, conçu l’idée de rouvrir le canal qui rattache Alexandrie au Nil, et qui est pour elle une condition d’existence ; en général, ce sont les Français qui ont préparé l’œuvre de Méhémet-Ali. Il n’est peut-être aucune de ses idées de réforme qui ne lui ait été suggérée par l’initiative française. C’est par nous que la civilisation occidentale a mis le pied sur cette vieille terre d’Égypte, d’où elle ne sortira plus.
Méhémet-Ali, il faut le reconnaître a été le second fondateur d’Alexandrie, en exécutant le canal que nous avions conçu. Les ports se sont remplis de navires comme autrefois ; on a pu y compter jusqu’à mille mâts et dire : « Livourne, Marseille, Plymouth, n’en offrent pas un plus grand nombre[2]. » La flotte de Méhémet-Ali était composée, en 1838, de neuf vaisseaux et de neuf frégates ; elle occupe le septième rang parmi les puissances maritimes ; la Turquie, l’Autriche, l’Espagne, ne viennent qu’après. Pour réaliser cette création, qui a donné rang à un simple pacha parmi les puissances, Méhémet-Ali a été secondé par des Français, dont les noms sont trop honorables pour ne pas trouver place ici. Deux Français, MM. de Cerizy et Basson, ont créé cette flotte et cet arsenal, création, dit le maréchal Marmont, étonnante et presque incompréhensible. Les difficultés de tout genre étaient immenses ; il a