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la plus superficielle, que le culte des animaux ; il n’a donc point emprunté son symbolisme au symbolisme égyptien, car il ne le connaît pas ; il l’a reçu de Platon, dont il applique les idées au judaïsme, au point de se faire appeler un Platon judaïsant. Peut-être ce que l’on disait autour de lui des mystères cachés sous les images tracées sur les monumens de l’Égypte a pu l’exciter à trouver des mystères dans chaque mot du récit de Moïse ; mais je pense qu’il doit surtout la tendance allégorique qui le caractérise à certaines écoles juives, surtout à celles des thérapeutes que lui-même nous fait connaître avec détail, et dont il dit à plusieurs reprises qu’on y explique aux Hébreux le sens allégorique de leurs livres sacrés. Philon ignore les Égyptiens parce qu’il les déteste, il ne leur a rien emprunté parce qu’il les ignore. Le Juif Philon a été défendu de tout contact avec les idées égyptiennes par la haine, comme les Grecs par le dédain, et les Romains par l’orgueil.

Mais revenons au christianisme. Pour trouver quelque influence de l’ancienne Égypte sur le christianisme alexandrin, il faut sortir de l’orthodoxie L’hérésie arienne, dont Alexandrie fut le berceau, l’hérésie arienne, avec sa tendance au déisme, est un fruit du rationalisme grec, et nullement de la théologie égyptienne ; il faut donc aller jusqu’à des hérésies qui sont à peine chrétiennes, il faut aller jusqu’au gnosticisme. L’idée de la gnoe, c’est-à-dire d’une connaissance supérieure à l’intelligence vulgaire et littérale, cette idée dont abusèrent ceux qui reçurent le nom de gnostiques, mais que ne repoussaient pas les théologiens orthodoxes d’Alexandrie, peut sembler empruntée au génie incontestablement symbolique des Égyptiens ; elle a une origine plus vraisemblable dans la tradition des mystères grecs et dans les usages de l’école platonicienne, qui avait aussi deux enseignemens, dont le plus relevé formait une véritable gnose réservée aux disciples initiés.

Il est naturel de se demander quelle parti l’Égypte peut réclamer dans les élémens qui ont formé le gnosticisme, car une grande famille des gnostiques est égyptienne d’origine. Basilide, Valentin, Héracléon, Carpocrate, étaient Alexandrins. Le chef de l’autre école gnostique, de l’école juive, Cérinthe, avait étudié à Alexandrie. Aussi a-t-on fait pour le gnosticisme comme pour le néo-platonisme alexandrin : on l’a cru dérivé en très grande partie des anciennes croyances égyptiennes. Est-ce avec beaucoup plus de raison ? M. Matter, qui voyait dans le musée d’Alexandrie une institution à demi égyptienne, voit dans le gnosticisme une émanation des doctrines religieuses de l’Égypte. « La gnose de l’Égypte, dit-il, emprunta sans hésitation les plus beaux symboles de l’antiquité égyptienne pour rendre les doctrines les plus augustes de la nouvelle religion[1] ; » et ailleurs : « Les gnostiques ont trouvé en

  1. Matter, Histoire du Gnosticisme, préf., XIII.