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Voilà comment la philosophie d’Alexandrie est égyptienne ; le christianisme d’Alexandrie le fut-il davantage ? Distinguons d’abord dans le christianisme alexandrin l’orthodoxie et les hérésies.

Il y aurait eu à Alexandrie une fusion ou plutôt une confusion déplorable des croyances égyptiennes et du christianisme, si on s’en rapportait à la lettre de l’empereur Adrien, dans laquelle il dit positivement : « Ceux qui honorent Sérapis se disent chrétiens, et ceux qui se disent chrétiens sont dévots à Sérapis. » Mais cette boutade de l’empereur bel-esprit, dans une épître qui vise à l’effet ne peut rien établir de positif, et prouve seulement que chez quelques-uns il se faisait un mélange grossier des deux religions. Il se peut aussi que certaines expressions, certains symboles, quelques idées même appartenant à l’ancienne religion, se soient infiltrés dans la nouvelle. Ainsi, quand saint Ambroise, qui imite et même copie souvent Philon et Origène, tous deux d’Alexandrie, quand saint Ambroise appelle Jésus-Christ le bon scarabée[1] qui a pétri la fange informe de nos corps, il fait, probablement d’après ses modèles alexandrins, une allusion évidente à un symbole égyptien, le scarabée considéré comme image de l’énergie formatrice du monde, parce qu’il roule en petites boules la fange dans laquelle il dépose ses œufs, ainsi que nous l’apprend le témoignage des anciens, confirmé cette fois par les monumens. L’art chrétien a pu accueillir aussi quelques-uns des attributs d’Isis et les transporter à la vierge Marie, quand par exemple il a placé le croissant de la lune sous ses pieds. La coutume très ancienne de donner à la Vierge la couleur noire a pu avoir aussi pour motif une imitation de l’Isis funèbre. Certains dogmes chrétiens ont pu trouver dans certaines croyances de l’Égypte une analogie qui a aidé à les faire admettre, au moins ce pays. La liaison que les Égyptiens établissaient entre l’immortalité de l’ame et cette perpétuité qu’ils cherchaient à donner au corps par les procédés de l’embaumement a un rapport frappant avec le dogme qui associe la chair ressuscitée à la vie impérissable de l’esprit, et l’on est autorisé à croire que l’opinion égyptienne vint ici en aide au dogme chrétien, quand on entend saint Augustin déclarer[2] que les Égyptiens étaient les seuls chrétiens qui crussent véritablement à la résurrection. D’autre part, on comprend comment un éloignement bien naturel pour tout ce qui pouvait rappeler les superstitions égyptiennes portait à déclarer que l’ame seule ressuscitait certains esprits que leur puritanisme dogmatique rendait pour ainsi dire hérétiques à force d’orthodoxie.

L’orthodoxie fut égyptienne en ce sens seulement qu’elle fut nationale.

  1. Luc, X, 113 ; Sch., 71.
  2. De Resurrectione, 349, c. XII ; serm. 4.