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personnes libres[1], ce qui, en supposant pour Alexandrie comme pour Athènes un nombre égal d’esclaves, fait 600,000 individus[2]. C’est à peu près la population de Paris au commencement de ce siècle[3]. Les Juifs occupaient deux des cinq quartiers dans lesquels la ville était divisée. La population d’Alexandrie diminua assez rapidement ; elle avait déjà décru sensiblement sous Galba[4]. Baissant toujours de siècle en siècle, le chiffre était tombé à 6,000 ames[5], c’est-à-dire avait été réduit à un centième. Il s’est relevé aujourd’hui à 60,000, ce qui est le décuple du chiffre antérieur et le dixième du chiffre ancien. C’est Méhémet-Ali qui a ainsi accru la population d’Alexandrie, en rouvrant par un canal la communication de la ville avec le fleuve. Il faut se hâter de célébrer ce bienfait ; j’aurai, dit-on, peu d’occasions de renouveler ce genre d’éloges.

Alexandrie était une ville commerciale et industrielle, une ville occupée et laborieuse comme nos cités modernes. « C’est une cité opulente, dit Vopiscus, où personne ne vit dans l’oisiveté. » Ses verreries étaient célèbres, ses tapisseries brodées l’emportaient sur les tapis de Babylone. Au milieu de la ville était un lieu appelé la rue ou le quartier des riches, où l’on vendait, dit Athénée, tout ce qui appartient au luxe le plus varié. C’était une espèce de bazar certainement beaucoup mieux fourni que le bazar actuel d’Alexandrie. Cette activité industrielle et commerciale était dans le caractère grec plus que dans le caractère égyptien ; c’est que les Alexandrins étaient beaucoup moins Égyptiens que Grecs, leurs défauts même le prouvent.

C’était un peuple léger, moqueur, faisant sans cesse contre ceux qui les gouvernaient des satires ou des chansons ; ils donnèrent des noms grotesques à la plupart des Ptolémées ; ils raillèrent Vespasien, qui, railleur lui-même, entendait la plaisanterie ; ils raillèrent Caracalla, qui s’en vengea par un épouvantable massacre. Soldats médiocres, ils excellaient aux combats de coqs et aux chants de table. Mobiles, indisciplinés, toujours prêts aux tumultes et aux révoltes, agités par les passions de l’école et de l’hippodrome, les Alexandrins offraient un singulier mélange de la vivacité athénienne et de la turbulence byzantine. Leur caractère était le caractère grec, avec une teinte du tempérament

  1. Livre XVII, LVV.
  2. À Athènes, la population esclave de tout âge et des deux sexes était à peu près égale à la population totale des individus libres. Letronne, — Mémoires de L’institut, VI, 199.
  3. Dans les sept premières années du siècle, la population de Paris était de 547,556. En 1842 elle avait atteint le chiffre de 912,033. — Horace Say, Études sur l’Administration de la ville de Paris.
  4. Sharpe, Egypt. Under the Romans, p. 45.
  5. Savary, Lettres sur l’Égypte, lettre IV.