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sable pour y servir de patron à la cité qu’il voulait créer[1]. Les antiquaires sont parvenus à retrouver, avec un peu de bonne volonté, la configuration primitive de ce manteau. La situation d’Alexandrie, toute métaphore à part, se comprend très bien. C’était une ville placée entre la mer et un lac, comme Stockholm. A droite et à gauche, la côte était échancrée par deux rades, celle de l’ouest et celle de l’est. Entre les deux, une digue longue de sept stades réunissait la ville à la petite île de Pharos. Cette digue était un pont et un aqueduc. On y avait ménagé deux arches sous lesquelles les vaisseaux pouvaient passer d’un port à l’autre. Le port de l’ouest communiquait avec le lac, qui lui-même était en communication avec le Nil par un canal. On conçoit combien cette disposition était favorable au mouvement du commerce maritime d’Alexandrie. Aussi, dans ses ports les vaisseaux, dit Strabon, se pressaient plus nombreux qu’en aucun lieu du monde.

Alexandrie offrait une régularité symétrique ; il en est ainsi de toutes les villes improvisées qui ne sont pas l’œuvre graduelle et spontanée du temps, mais qui sortent soudainement de terre à la voix d’un homme ou d’un peuple. Ainsi la cité de La Valette, à Malte, fut créée de toute pièce par le grand-maître qui lui a donné son nom ; ainsi Berlin fut aligné comme un camp par Frédéric ; ainsi s’élèvent instantanément les villes que décrète chaque jour la démocratie américaine. Alexandrie, qui était une pensée et une volonté d’Alexandre, se dressa à la voix du capitaine, ordonnée et régulière comme la phalange. Deux grandes rues s’y coupaient vers leur centre : la plus longue avait une lieue et demie d’une porte à l’autre, et cent pieds de largeur. Toutes les autres rues, parallèles à ces deux voies principales, faisaient ressembler la ville à un échiquier, ressemblance qui frappait encore Abulféda au XIVe siècle.

Cette disposition avait de grands avantages. Les rues dirigées du nord au sud étaient rafraîchies par le vent de mer, qui s’y engageait sans obstacle. C’est un rafraîchissement du même genre qu’on cherche à obtenir encore aujourd’hui en Égypte par des ventilateurs dont l’orifice évasé est dirigé vers le nord. Du reste, on ne saurait imaginer de contraste plus parfait que ce parallélisme des rues droites et larges de l’antique Alexandrie avec les sinuosités des rues étroites et obscures de la ville turque qui l’a remplacée.

Rien n’était plus splendide que l’ancienne Alexandrie, Athénée l’appelle plusieurs fois la belle et la dorée ; Philon et Diodore de Sicile la proclament la reine des villes. Nous avons, dans le roman de l’Alexandrin

  1. On trouvait la même forme à la terre habitable telle que les anciens se la représentaient. Le monde ancien tout entier était donc taillé comme le vêtement d’Alexandre.