préjugés ou les intérêts particuliers de ses amis ; tantôt il avait lui-même contre certaines mesures des antipathies, des appréhensions. Voilà comment il est arrivé, après six ans, n’avoir rien fait de positif et de fécond ; il a beaucoup parlé pour démontrer combien il était avantageux de ne toucher à rien : c’est tout. Va-t-il aujourd’hui se montrer entreprenant, actif ? Si ses adversaires ne le croient pas, ses meilleurs amis n’en sont pas non plus persuadés, et on peut ajouter que le cabinet l’ignore lui-même. Tout dépendra du plus ou moins de vivacité des provocations qui partiront du sein de la majorité nouvelle. Quelque désir qu’on ait de rivaliser avec sir Robert Peel, on attendra cependant l’impulsion, au lieu de la donner. Si enfin on croit nécessaire d’accorder quelque chose à de sérieuses exigences, on se fera un grand mérite de mettre certaines questions à l’étude ; quant à la solution, elle pourra être lente à venir. Il nous est difficile, nous l’avouerons, de nous représenter avec des couleurs plus vives le zèle réformateur du ministère ; mais nous sommes tout prêts à nous réjouir le jour où nous verrons nos prévisions rester en-deçà de la réalité, où nous assisterons au déploiement d’une politique nouvelle qui proposerait avec énergie et sincérité d’habiles améliorations. Au surplus, si, en matière de réformes, on interroge, non pas les actes, il n’y en a point, mais les paroles et les écrits de M. le ministre des affaires étrangères, il est difficile de discerner à quel parti il s’arrêtera. M. Guizot a écrit et parlé pour et contre les réformes, il a célébré tour à tour le progrès et la résistance ; ainsi, là comme ailleurs, il est en mesure de prendre l’un et l’autre parti, et quoi qu’il fasse, il sera tout ensemble d’accord et en contradiction avec lui-même.
D’ailleurs, en ce moment, M. le ministre des affaires étrangères a d’autres soucis. La question de la présidence du conseil n’est pas encore vidée, question épineuse, où ce qu’il y a de plus délicat dans l’amour-propre se trouve en jeu. Il est cependant urgent de la résoudre : M. le maréchal Soult persiste à rompre le dernier lien qui le rattache au cabinet. Il paraît que le temps n’a pas calmé l’irritation profonde que lui a causée le refus de l’ambassade de Rome, qu’il désirait si vivement pour M. le marquis de Dalmatie, et il faut que le cabinet avise à se pourvoir d’un autre président. Tout désigne M. le ministre des affaires étrangères, et cependant ce poste, sur lequel, il en faut convenir, ses prétentions sont fort légitimes, lui échappe toujours. Ses collègues, qui s’estiment si heureux d’être défendus par sa parole, ne poussent pas la reconnaissance jusqu’à lui déférer avec empressement une présidence que certes il a bien conquise. Ils semblent plutôt craindre une prééminence officielle, qui marquerait plus que jamais l’administration du 29 octobre d’un nom illustre sans doute, mais dont l’éclat même pourrait devenir un embarras dans des circonstances difficiles. A coup sûr, M. le ministre des affaires étrangères a le droit de penser qu’il y a dans tous ces calculs plus d’ingratitude que de courage ; mais contre de pareilles dispositions que peut-il faire, surtout quand il est question d’appeler à la présidence un homme éminent, pour lequel ses sentimens ne sauraient être douteux, M. le duc de Broglie ? C’est de la part de M. le ministre de l’intérieur un coup de maître qu’une pareille candidature. La présidence de M. le duc de Broglie établirait entre M. Duchâtel et M. Guizot un parfait équilibre ; elle donnerait au cabinet le concours d’un personnage considérable, en le faisant échapper au danger de se personnifier dans un orateur dont on reconnaît ne pouvoir se passer, tout en le redoutant