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Voilà, il faut l’avouer, un langage, une conduite bien politique ! Le député de Saintes a-t-il voulu faire pénitence des bruits qui avaient couru sur son futur ministère de l’Algérie ? Il choisit bien son temps pour exagérer ses opinions, pour quitter la ligne de politique modérée et pratique qui lui a valu sa renommée parlementaire : il choisit l’heure où le pays décime les représentans des partis extrêmes, où la gauche elle-même a vu éclaircir ses rangs. M. Dufaure voudrait-il constituer à lui seul un parti ? Dans cette voie, la brillante excentricité de M. de Lamartine a pris les devans, et, coup sûr, elle éclipsera l’astre errant qui voudrait imiter ses courses vagabondes.

Il ne sera guère possible, dans la nouvelle chambre, d’avoir quelque influence, quelque crédit en dehors de la modération. C’est ce dont est bien convaincu, nous le croyons, l’honorable chef de la gauche constitutionnelle. Dans le remerciement qu’il a adressé à ses électeurs, M. Odilon-Barrot s’est attaché à repousser avec énergie les imputations de violence et d’anarchie dirigées contre les opinions qu’il représente. Il a toujours pensé, cette justice lui est due, que son parti n’avait pas d’écueil plus dangereux que l’exagération, et à coup sûr il est aujourd’hui confirmé dans ce jugement par la situation morale du pays et les nouvelles pertes de la gauche. Les partis extrêmes, en dépit de leurs passions, devront observer au sein de la chambre une grande mesure et beaucoup de ménagemens. Leur très petite minorité les y oblige. D’ailleurs, ils ne sont pas moins en minorité dans le pays que dans la chambre. En voici les preuves. On avait annoncé que les légitimistes iraient tous aux élections, et l’on se promettait de ce concours une augmentation sensible de leurs représentans dans la chambre. Les légitimistes ont été aux élections en aussi grand nombre que possible, et leur parti est sorti de la bataille non pas accru, mais mutilé : Leur plus grand triomphe a été de donner dans quelques collèges, comme à Orléans, la victoire à ces croisés nouveaux, leurs exploits ont eu peu de retentissement. Si la législature nouvelle est destinée à concilier avec sagesse, dans une loi sur l’enseignement, les droits de l’état et ceux de la famille, cet heureux résultat sera dû non pas à la minorité ultrà- catholique, mais à la majorité des bons esprits et des catholiques raisonnables. Enfin, si nous nous tournons vers les radicaux, nous voyons que leurs pertes n’ont été compensées par aucune conquête. Pas un homme jeune, pas un talent nouveau n’est -venu régénérer le radicalisme de l’extrême gauche. Presque tous les débutans dans la vie parlementaire appartiennent aux deux centres. Quand on voit la jeunesse et la maturité se ranger unanimement du parti de la modération, on peut dire que jamais gouvernement n’eut la partie plus belle.

Que fera le ministère de tous ces avantages ? Rien, s’il faut en croire quelques organes de l’opposition. Ils nient qu’après six années, pendant lesquelles le cabinet s’est montré constamment contraire aux réformes, même les plus modestes, il puisse soudainement se trouver saisi d’un désir sincère d’innover et d’améliorer. La métamorphose serait rare. Jusqu’à présent, en effet le ministère du 29 octobre a été d’une stérilité continue. Il a tout refusé, tout repoussé. Sur quelque sujet qu’on ait invoqué sa sollicitude, qu’on ait fait appel à son initiative, dans toutes les réformes qui lui ont été demandées, on l’a trouvé tour à tour craintif ou hostile. Tantôt il ne se sentait pas la force de lutter contre les