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charge d’ames ; le cours de cette vie active m’a lié nécessairement à bien des personnes : ce sont là des situations qui mettent le cœur à l’épreuve. Si ma croyance était tellement nulle et contraire à Dieu, comment se ferait-il que dans toutes ces occasions, avec l’appui de ma croyance, je ne me sois jamais trouvé sans force et sans conseil ? et pourtant je suis songeur par nature, et dès ma jeunesse il m’est arrivé rarement de terminer la soirée sans avoir examiné ma conscience. Mon Dieu ne m’a pas non plus laissé manquer de sévères passages dans ma vie ; mais l’espoir et la confiance, pour avoir chancelé quelquefois, n’ont point défailli. J’ai visité beaucoup les fidèles de ma communauté ; je ne suis jamais allé dans leur famille lorsque leur maison était en deuil, je ne me suis jamais assis près de leur lit de douleur ou de leur lit d’agonie sans que ma simple notion du christianisme ne m’ait fourni le secours dont ils avaient besoin, la satisfaction après laquelle soupirait leur ame soit dans la vie, soit dans la mort. La croyance qui m’a soutenu parmi toutes ces rencontres n’est donc ni si pauvre ni si fausse que le veulent mes ennemis. » Et l’honnête pasteur ajoutait : « Moi qui depuis quelques années suis devenu riche en amitiés, oh ! j’ai le bonheur de connaître et d’honorer du fond de l’ame bon nombre de personnes qui sont gens pleins d’amour, d’humilité, de justice et de piété ; ceux-là pourtant ont rejeté loin d’eux la vieille dogmatique, plus loin peut-être que je ne la rejette moi-même. Osera-t-on affirmer que de pareilles vertus sont seulement d’éclatans fardeaux, comme les anciens chrétiens le disaient des plus nobles d’entre les Romains et les Grecs, comme les catholiques le disent des protestans ? On ne réussira qu’à prouver qu’on n’avait pas d’argument plus raisonnable.

Tous ces bons sentimens, tous ces solides principes, ne font cependant pas une église ; mais quoi ? l’église était faite, et l’on s’y tenait. On restait membre de la confession évangélique. Le pasteur Uhlich et ses amis n’entendaient pas fonder une nouvelle société religieuse sur un dogmatisme nouveau ; c’est en cela surtout qu’ils diffèrent des rongiens. Ils ont eu le sens de comprendre que le temps est passé où l’on remplaçait des symboles par des symboles. La forme impérative du symbole ne convient qu’aux traditions surnaturelles, parce qu’elle les met ainsi tout aussitôt sous la protection d’une règle d’autorité. Prétendre recommencer l’autorité quand on vient soi-même d’en récuser le témoignage, c’est la pire inconséquence d’un esprit court ; prétendre user d’autorité en matière de foi rationnelle, c’est troubler la simplicité des intelligences et provoquer les divisions à plaisir, en affirmant par système ce qui se trouve déjà spontanément affirmé par l’instinctif élan des ames ; c’est tomber sans profit sous la contradiction, tandis que la foi révélée ne s’y expose point, par cela seul qu’elle ne comporte pas