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qu’il nous oblige à réclamer en faveur d’Aristote, et à nous faire un instant l’avocat de la doctrine du De anima contre son savant, mais trop sévère interprète. M. Saint-Hilaire professe un spiritualisme si décidé, que toute doctrine qui s’éloigne de son sentiment lui paraît suspecte. Il prend parti pour la théorie du Phédon contre celle du Traité de l’Ame, et, entraîné par l’ardeur de son platonisme, il va jusqu’à accuser Aristote d’avoir, en contredisant son maître, rétrogradé vers le passé, d’avoir rebroussé chemin à peu près jusqu’à l’ionisme. Ce jugement est, à coup sûr, d’un bon platonicien, mais il nous paraît excessif.

Nous accordons à M. Saint-Hilaire qu’Aristote a souvent confondu deux ordres de phénomènes que nous tenons pour distincts, ceux de la vie organique et ceux de la vie intellectuelle ; nous accordons encore que cette erreur l’a conduit à unir d’un lien trop étroit la pensée et l’organisme, et, par suite, à rendre l’immortalité de l’ame fort douteuse, sinon tout-à-fait impossible ; mais il ne suffit pas, pour être parfaitement juste à l’égard d’une doctrine, de l’apprécier en elle-même : il faut la comparer à celles qu’elle a prétendu remplacer. Or, la philosophie d’Aristote est une réaction contre le système de Platon Je demande maintenant si le spiritualisme de Platon n’avait pas quelque chose d’excessif et de chimérique, et s’il n’était pas légitime et nécessaire qu’un observateur plus exact vînt renouer entre l’ame et le corps des liens que le disciple de Socrate avait rompus.

Généralisons la question : M. Saint-Hilaire accepte-t-il la doctrine de Platon et celle de Descartes sur l’ame dans toute leur rigueur ? Mais alors il proteste contre l’histoire, qui les a condamnées toutes deux. J’admire autant que personne le spiritualisme du Phédon et celui des Méditations, et j’en garde le fonds ; mais la vérité absolue n’est pas là. Cette ame, qui est une pensée pure, pour qui le corps est une prison, qui n’est libre qu’en se détachant des sens, qui d’un corps peut passer dans un autre, et voyager ainsi de corps en corps dans une série de métempsycoses, ou encore cette substance pensante, qui n’a rien de commun avec l’étendue, qui est unie aux organes par une sorte de miracle, incapable de les mouvoir et d’en ressentir l’action, est-ce là le dernier mot de la science de l’homme ? Qu’on m’explique alors la chute de ce spiritualisme, et le mouvement nouveau qui a suscité, après Platon Aristote, après Descartes Stahl et Leibnitz. Je ne me charge pas de défendre Aristote, Leibnitz et Stahl contre M. Saint- Hilaire, mais je demande qu’il reconnaisse au moins dans leur doctrine une réaction légitime contre un spiritualisme dont on n’a le droit de conserver le principe qu’à la condition d’en retrancher les excès.

La philosophie ne peut pas s’en tenir à Platon et à Descartes : il faut comprendre et admirer ces beaux génies ; mais il faut aussi comprendre leurs adversaires. Si Platon avait fait à l’expérience et à l’individualité leur part légitime, Aristote ne serait pas venu. De même, si Descartes n’avait pas enseigné une doctrine exclusive, Leibnitz n’aurait pas entrepris de réhabiliter contre lui le péripatétisme de la scholastique.

Leibnitz est le génie conciliateur par excellence. C’est lui qui a prononcé cette grande parole, devenue depuis la devise de l’éclectisme : « Tous les systèmes sont vrais dans ce qu’ils affirment ; il ne sont faux que dans ce qu’ils nient. » il ne suffisait pas à son intelligence compréhensive et harmonieuse d’embrasser et