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irréfléchi des peuples, il y a le panslavisme savant du tzar, système hypocrite auquel la Russie demande tout l’avenir de sa grandeur, toutes les séductions qu’elle croit bonnes à désarmer la Pologne. Écoutez les adeptes : le moment naîtra où la Russie, sachant enfin pardonner et guérir, appellera les Polonais à son aide pour la conduire dans les voies de la civilisation ; ouvert à leur activité par la main puissante qui le mène, le monde slave reprendra la place qui appartenait en Europe à cette immense famille de déshérités ; la gloire des Polonais sera d’initier à une existence nouvelle et leurs vainqueurs et tous leurs frères. — Nous ne pouvons retracer ici l’histoire du panslavisme. Cette question difficile mérite une étude plus spéciale et plus longue. Disons seulement que, du jour où parut l’idée d’une communauté nouvelle entre les branches dispersées de la famille slave, elle fût accueillie par des cœurs sincères, mais elle fut en même temps et surtout exploitée par les ambitions politiques des souverains. Nous comprenons qu’il y ait eu là pour quelques hommes distingués un beau rêve ; une noble espérance, pour des populations morcelées par la conquête étrangère une vive réminiscence de leur unité primitive ; malheureusement nous voyons partout, à côté de ces sentimens désintéressés, une vaste intrigue ourdie sous une ombre plus ou moins transparente pour les tourner au profit d’un plan de domination universelle en Europe La maison d’Autriche avait déjà joué ce rôle périlleux à l’aide du génie de l’Espagne ; elle s’y était trop épuisée pour le recommencer à l’aide du génie slave. On raconte pourtant qu’il fut une fois question dans les conseils de Joseph II de gouverner avec les Slaves et non point avec les Allemands, mais l’Autriche tenait à l’Allemagne par de trop profondes racines pour s’en séparer ouvertement, et, si réduite que fût sa population germanique, elle représentait toujours le saint empire romain. L’Autriche n’a donc favorisé le mouvement slave que dans les étroites proportions de sa politique : tandis qu’elle l’oppose en Hongrie aux prétentions hautaines des Madgiares, elle craint à tout instant de le voir se développer en Bohême, où il ne servirait que la Russie. L’Autriche ne pouvait changer de base et devenir slave. La Russie l’était par nature avant de vouloir l’être par calcul, elle n’avait qu’à se replacer sur ses vrais fondemens. Lorsqu’en 1825 des Polonais et des Russes s’unirent dans une même conspiration contre l’autocratie, leur entreprise manquée fournit à l’autocratie une idée de plus contre la liberté. On avait saisi sur les conjurés un cachet aux armes des douze peuples slaves ; on devina bientôt le sens de cet assemblage jusqu’alors inouï, et ce fut en vérité le tzar qui garda ce cachet-là pour sceau de commandement. Le panslavisme devient malgré tout un monopole russe, et cette tendance doit être une loi bien puissante, puisqu’aujourd’hui même, quand la nationalité polonaise se réfugie, se retranche et s’efface derrière la communauté