Et sait-on dans quelles circonstances on se presse tant de refuser les plus urgentes réformes ? C’est au milieu d’une anxiété générale, d’une détresse presque publique. Le grain a manqué comme d’ordinaire aux approches de la moisson ; il faudra voir ce qu’aura produit cette moisson tout arrosée de sang, à peine aujourd’hui terminée par des corvéables insoumis, qui l’ont coupée sous le bâton des caporaux autrichiens. En attendant, les propriétaires ruinés n’ont pu donner d’aide aux pauvres gens, suivant la coutume à peu près obligatoire de cette sorte de domination patriarcale ; les maisons des massacreurs regorgent de dépouilles, ceux qui sont affamés parce qu’ils ont les mains pures ne seront-ils pas tentés de gagner leur pain au prix où le paie l’Autriche ? Est-ce là ce qu’espère M. de Metternich en obligeant les seigneurs de poursuivre à leurs risques et périls les rentrées du fisc impérial ? Tout le pays est plongé dans une inexprimable stupeur : « Depuis que les nobles et les paysans ont été excités et soulevés les uns contre les autres, dit une Lettre sur laquelle nous reviendrons longuement, depuis que cette société déchire ses propres entrailles, il n’y a plus de nation polonaise. Depuis que le récit funeste parcourt nos plaines, une morne tristesse pèse sur la contrée : le voisinage du maître et du paysan se change en embuscade, notre sommeil en cauchemar, nos veillées en frayeurs, et nos journées ne sont qu’une longue et cruelle angoisse. Le gentilhomme s’armerait si on lui avait laissé de quoi se défendre, et l’honnête paysan frémit à l’idée de cette fatalité qui pourrait le pousser à imiter de si horribles exemples. » Tel est l’état de choses sur lequel agit aujourd’hui la Russie ; elle connaissait trop bien tout le parti qu’on peut tirer du muet abrutissement de la peur pour ne pas essayer à son profit une fascination qui paraît lui réussir. « La Russie fait le chat, écrivait-on encore tout dernièrement, et l’on y est pris. » L’image peut-être triviale, elle est frappante. On. Se prend, en effet, à l’idée d’un ordre meilleur sous un régime qu’on veut à présent supposer moins perfide que brutal ; les correspondances galliciennes abondent en éloges du tzar, et l’on n’imaginerait pas le bruit du jour qui courait encore l’autre semaine jusque dans Vienne même : l’empereur Nicolas allait promulguer une amnistie pour tous les condamnés politiques détenus en Sibérie. Merveilleuse rencontre ! la même nouvelle arrivait au même instant à Posen, et l’on ajoutait là, comme plus ample information, que la rentrée des émigrés devait être négociée par le cabinet des Tuileries.
L’empereur s’est appliqué de son mieux à susciter dans le royaume ces bons sentimens qui se produisaient si à point dans la Gallicie, et il a risqué quelques démarches éclatantes pour réconcilier avec la suprématie moscovite, non pas seulement les Polonais de l’Autriche, mais aussi ses propres sujets de Pologne. On a vu dans toutes les feuilles allemandes comment il était allé se montrer à Varsovie, comment il avait