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Puis, attachant des regards attentifs sur la berge, qui peu à peu s’élevait au-dessus des eaux, il reprit :

— Ne croyez pas du moins que ce soit la cupidité qui m’aiguillonne ! non ! Mais voyez la contradiction ! Dans des déserts brûlans où tout autre aurait donné l’or du monde entier pour un verre d’eau, j’ai souvent sacrifié à des expériences inutiles la dernière goutte d’eau qui me restait, et pourtant que de fois il m’est arrivé de vendre de riches filons pour un cigare ! En exposant ma vie dans ces recherches aventureuses, j’obéis à un instinct invincible. Je suis comme le torrent à qui Dieu ordonne de disséminer l’or dans la plaine. N’est-ce pas Dieu aussi qui révèle à l’homme par des signes visibles la présence de l’or caché dans les entrailles de la terre ?

Tout en parlant ainsi, le gambusino continuait à élever sa digue de pierres, dont il bouchait les interstices avec des herbes qu’il avait amassées en assez grande quantité. Peu à peu l’eau, détournée de son cours, laissait à découvert la pente de terrain qui l’encaissait des deux côtés, et se répandait dans une autre direction. Je prenais un si vif intérêt à ce travail, que j’oubliais ma fatigue. — Si je ne me suis pas trompé dans mon calcul, me dit le gambusino, c’est à une vingtaine de pas d’ici, en suivant le cours de ce ruisseau, que doit se trouver le gîte de l’or dont j’ai recueilli les pepitas, et alors mes recherches depuis le pied de cette digue jusqu’à l’endroit dont je parle seront à peu près infructueuses.

Pour joindre l’expérience au précepte, le gambusino prit la batea qu’il avait déposée près de lui et plongea ses deux mains, recourbées en écope, dans les quelques pouces d’eau qui couvraient à peine alors le lit du ruisseau. Il amena deux poignées de terre et de sable qu’il déposa dans la sébile et qu’il lava soigneusement ; aucune parcelle d’or ne parut à la lumière. La même expérience, pratiquée plusieurs fois de suite, produisit toujours le même résultat. A la dernière épreuve cependant, quelques petits grains d’or presque imperceptibles vinrent briller parmi le sable qu’il vannait pour ainsi dire entre ses doigts ; ces légères parcelles, arrondies et polies, sortaient évidemment d’un gîte beaucoup plus éloigné que celui dont la présence venait d’être révélée au gambusino. Suffisamment éclairé sur la direction qu’il devait donner à ses recherches, Pedro tira de sa poche un petit roseau creux de quatre pouces environ de long et deux fois gros comme une plume d’oie. Au bout d’un quart d’heure à peu près, il parvint à en remplir la moitié, puis en boucha les deux extrémités avec de la cire. Alors il abandonna le point qu’il venait d’exploiter, et m’engagea à descendre avec lui le cours de l’eau jusqu’à une vingtaine de pas de l’endroit où nous étions. Là il remplit de nouveau son plat de bois, et, de l’air satisfait d’un professeur qui voit une expérience couronnée de succès, il me montra, parmi le résidu vaseux, de petits grains d’or aplatis, pointus et anguleux.