nuit. Les domestiques s’appelaient et se répondaient ; le foyer ravivé projetait de vives lueurs jusque dans les échappées les plus profondes de la forêt, et teignait d’un reflet rouge les eaux noires de l’Uris. Bientôt j’entendis la voix du sénateur qui m’invitait à venir prendre le chocolat avant de partir. Je quittai ma couche de gazon ; les voyageuses n’étaient pas encore levées, et, sur leur invitation expresse faite avec tout l’abandon gracieux des pays chauds, nous nous assîmes sur leur lit pour prendre ce léger repas. C’était un tableau nouveau pour moi que celui de ces jeunes femmes au milieu des bois, appuyées mollement sur la dentelle de leurs oreillers, sous cette alcôve de feuillage auquel le firmament étoilé formait un dais resplendissant. J’aurais voulu pouvoir prolonger ces instans ; mais le repas achevé, tout étant prêt pour le départ, il fallut remonter à cheval.
Nous continuâmes à suivre le lit de la rivière, relayant comme la veille, et nous arrivâmes au petit village de Banamiché. Les habitans peu nombreux de ce village, groupés devant leurs portes, nous regardaient avec curiosité ; parmi eux, un homme vêtu d’un froc de franciscain, retroussé jusqu’à la ceinture, et chaussé de bottes de cheval[1] garnies d’énormes éperons, semblait nous observer avec un intérêt tout particulier. La beauté de doña J..., la femme du sénateur, assez remarquable pour fixer partout l’attention, détermina le moine à nous parler et à nous offrir l’hospitalité sous son toit. L’offre fut acceptée, et nous mîmes pied à terre. Une ménagère de mine assez avenante vint nous recevoir, escortée d’une demi-douzaine d’enfans.
— Aquien Dios no dió hijos le dió ahijados[2], nous dit le padre Nieto ; ainsi se nommait notre hôte. C’était, je pense, en reconnaissance des soins paternels qu’il prenait de ses filleuls, que les petits drôles l’honoraient d’un nom plus tendre que celui de parrain.
Après avoir remercié ce digne homme de son hospitalité bienveillante, nous continuâmes notre route jusqu’à Arispe, où nous arrivâmes le soir. De la Puerta del Cajon jusqu’à cette ville, nous avions toujours suivi le lit de l’Uris, dont nous avions traversé cent huit fois les sinueux détours. Je ne dirai que peu de chose d’ Arispe. C’est la dernière ville que je devais rencontrer avant les déserts que je m’étais promis d’explorer, et je n’y séjournai que le temps strictement nécessaire pour me reposer. Avant la translation du pouvoir législatif de l’état à Arispe, cette ville n’était qu’une bourgade sans importance. Aujourd’hui encore elle est moins peuplée qu’Hermosillo, et n’égale cette dernière ville en étendue que grâce aux vastes jardins ou huertas dont chaque maison est entourée. Dans ces huertas, des massifs de grenadiers, de