appelle un certain nombre de chevaux de choix réservés pour l’usage exclusif des propriétaires: ou prit à peine le temps de détacher les selles ruisselantes de sueur pour les placer sur des chevaux frais, et nous repartîmes. Il convient de dire ici que ces chevaux, constamment laissés en liberté, sont infatigables, et qu’ils sont frais encore quand ils n’ont fait que quinze ou vingt lieues sans être montés. Ce ne fut qu’à six lieues plus loin que, la chaleur devenant insupportable, nous nous arrêtâmes pour nous reposer et faire la sieste ; puis, après deux heures de sommeil à l’ombre des arbres, nous reprîmes notre course, et une troisième traite nous mena, vers cinq heures du soir, à un endroit appelé la Puerta del Cajon. Nous avions fait les vingt-cinq lieues convenues depuis le matin, et c’était là que nous devions passer la nuit.
La Puerta del Cajon (porte du caisson) est ainsi nommée, parce que c’est à cet endroit que la branche du rio San-Miguel appelée Uris commence à s’encaisser entre la sierra et un amphithéâtre de rochers. Le lit sablonneux de la rivière devient, pendant la saison sèche, un chemin agréable et commode. Appauvrie par une sécheresse de huit mois, la rivière, au lieu de remplir son vaste lit comme dans la saison des pluies, serpente en mille détours sur un fond de graviers et de galets. Dans ses innombrables méandres, elle caresse mollement le pied des saules et des trembles qui se penchent sur ses bords. Le bruit de leurs feuilles, sans cesse agitées, égale à peine en douceur le frémissement des eaux limpides et transparentes. De temps à autre, une chute d’eau qui se précipite dans quelque ravin éloigné vient mêler son harmonie lointaine aux murmures de l’Uris. Les dentelures azurées de la chaîne qui l’enserre d’un côté s’élèvent à pic au milieu des cimes pressées des arbres étages en gradins gigantesques. Sur les rochers du bord opposé s’étendent, comme un rideau mobile, des plantes verdoyantes et des lianes fleuries qui baignent leurs rameaux dans les eaux capricieusement promenées d’une rive à l’autre ; mais dans la saison des pluies, au lieu de ce riant tableau, l’IUris n’offre plus que des aspects funèbres. Le lit entier de la rivière est envahi tout à coup par des eaux fangeuses, qui écument, bouillonnent et courbent la cime des arbres dont naguère elles caressaient humblement le pied. Des arbres déracinés, des cadavres d’animaux surpris par la crue subite, roulent en tournoyant dans les flots jaunis. Les échos répètent avec le bruit du tonnerre les mugissemens de l’Uris, les roches se renvoient les cris plaintifs de cohortes d’oiseaux qui volent en rond au-dessus des vagues, ou qui, acharnés sur un cadavre flottant, se laissent entraîner avec lui. Du sommet, des flancs de la sierra, voilés alors de brouillards impénétrables, des bruits effrayans montent jusqu’au ciel ; des rochers détachés de leurs bases roulent d’abîme en abîme, les arbres craquent sous leur choc, on dirait que ces brumes épaisses cachent sous leur manteau la