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Angleterre, où, selon le même auteur, dont le dire a été confirmé en cela par l’enquête de 1830[1], la soie crue est généralement à meilleur marché même qu’en Italie. Et tous ces progrès des industries étrangères s’accomplissent pendant que la nôtre, si puissante et si belle, demeure confinée dans ses anciennes positions. Si elle ne décline pas, elle demeure stationnaire, malgré l’accroissement de la consommation qui s’est manifesté d’une manière si extraordinaire depuis trente ans. Il est certain d’ailleurs qu’elle ne se soutient plus au dehors que par la vente des étoffes riches, les seules où il lui soit possible de neutraliser tous les désavantages de sa position par l’ascendant supérieur de l’art et du goût.

Qu’on ne dise donc pas que toutes ces industries ne vivent en France qu’en vertu de la protection qu’on leur accorde. Elles souffrent du régime présent beaucoup plus qu’elles n’en profitent. Le système restrictif leur assure le marché national, c’est vrai, mais à quel prix ? Il leur vend sa protection beaucoup plus qu’il ne la donne, et il la vend sûrement trop cher ; Ne voit-on pas que ce sont les restrictions même qui par les charges quelles imposent aux manufactures, leur rendent la protection nécessaire, et qu’on tourne ici dans un cercle vicieux ? Vienne une liberté générale des échanges, qui, en supprimant le privilège dont ces industries jouissent, les débarrasse en même temps de toutes ces charges, loin d’y perdre, elles y gagneront doublement, d’abord en ce que le marché national s’agrandira sous l’influence du bas prix, ensuite en ce qu’elles étendront beaucoup plus loin leurs débouchés au dehors. Que l’étranger vienne alors leur faire concurrence sur notre marché, et y prendre même une certaine place, ce qui n’est point un mal, elles soutiendront du moins cette concurrence à des conditions égales pour les produits communs, et avec toute la supériorité qu’elles ont acquise pour les produits de luxe.

Nous ne suivrons pas l’application de ces vérités pour toutes nos industries ; il nous suffit de l’avoir fait pour quelques-unes des plus importantes. Au fond, la situation est toujours la même : elle revient à ceci : privilège acquis sur le marché national au prix de lourdes charges qui interdisent toute concurrence avec l’étranger. On remarque pourtant des différences notables dans l’application, soit en ce que le privilège du marché national n’est pas réservé avec la même rigueur à toutes les branches du travail, soit encore en ce que le poids des charges qu’elles supportent varie sensiblement. Quelques-unes sont relativement peu grevées, et ce ne sont pas celles qu’à d’autres égards nos tarifs favorisent le moins. D’autres portent, au contraire, un poids plus lourd, et jouissent avec cela d’un privilège moindre, tant il est

  1. M. J.-B. Heath, Select Committee on Silk trade, 1832.