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employât-elle des procédés aussi simples, aussi économique, fût-elle exercée d’ailleurs avec autant d’habileté commerciale et de talens pratiques, elles demeurerait toujours inférieure, quand au bon marché de ses produits, de toute l’aggravation de frais que le régime restrictif lui fait subir.

Cela étant, on voit combien il est téméraire de dire que, sous l’empire d’un commerce libre, pas une des branches principales de cette industrie ne resterait debout. Il est clair que la seule faculté d’opérer librement leurs achats au dehors, venant à changer les conditions au milieu desquelles nos manufacturiers ou nos fabricans travaillent, leur donnerait immédiatement une latitude de prix, une puissance de bon marché qu’ils n’ont pas. Chacun d’eux, allégé du poids des charges que le régime le régime restrictif lui impose, celui-ci pour ses matières premières, celui-là pour ses instrumens de travail, et la plupart pour toutes ces choses réunies, se verrait en position de réduire aussitôt le prix de ses propres marchandises. Qui osera dire que dans cette situation nouvelle leur infériorité présente subsisterait ?

On se fait en vérité d’étranges idées sur tout cela. On s’autorise de la cherté relative de nos produits pour demander le maintien du système restrictif, et cette cherté, on ne voit pas que c’est le système restrictif qui en est cause. On ne cesse de stimuler, de gourmander nos fabricans ; on leur crie de toutes parts : Simplifiez vos procédés, portez de l’économie dans le travail, attachez-vous aux produits et livrez-les aux mêmes prix que vos rivaux. On ne voit pas qu’on leur demande l’impossible. Produire à bon marché quand on paie cher toutes le matières que l’on consomme, rivaliser en cela avec ceux qui obtiennent les mêmes matières à très bas, c’est un problème qu’on peut bien proposer à tout hasard, quand on n’a rien de mieux à dire, mais que nulle industrie au monde n’a résolu jusqu’à présent. D’un autre côté, on promet d’affranchir le commerce le jour où l’industrie étrangère, et l’on ne voit pas qu’en maintenant l’état présent des choses, on éloigne à jamais ce jour prédit. Encore si l’on avait des procédés particuliers dont on pût s’assurer le monopole, si l’industrie française avait le don d’inventer et de réserver pour elle seule des modes de fabrication que nul autre peuple au monde ne fût en état de s’approprier, on comprendrait à la rigueur qu’elle pût racheter par l’extrême supériorité de son travail tout ou partie des désavantages de sa situation ; mais quand on considère avec quelle rapidité les procédés nouveaux qui ont quelque valeur se vulgarisent aujourd’hui, avec quelle facilité ils se transportent d’un pays à l’autre, on est bien forcé de reconnaître que la cherté des matières premières et des agens du travail est un désavantage absolu, que rien, ni dans le présent, ni dans l’avenir, se saurait compenser.