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aggravent leurs frais de production, et dont la seule institution du commerce libre viendrait aussitôt les affranchir ? La faiblesse. Actuelle de toutes ces industries, si elle ne dérive pas uniquement du régime en vigueur, en est du moins singulièrement accrue, et il est évident que, sous le régime du libre échange, la lutte, puisque lutte il y a, s’engagerait pour elles dans des conditions fort différentes. Il n’y a donc rien à conclure de leur état présent. Juger de ce qui serait par ce qui est, c’est évidemment vouloir s’aveugler soi-même ; aussi n’est-il pas étonnant qu’en raisonnant ainsi on soit parvenu à mettre la pratique en désaccord avec la théorie, ou, pour mieux dire, les faits particuliers en désaccord avec les faits généraux qui les dominent.

Tout se lient, tout se lie dans le monde industriel. Toutes les industries sont dans une dépendance mutuelle, et chacune d’elles se ressent de la position qu’on a faite à toutes les autres. La raison en est simple. C’est qu’il n’y a pas une de ces industries qui n’emploie les produits de beaucoup d’autres, soit comme matières premières, soit comme instrumens de travail. Lors donc que par l’effet des lois restrictives la valeur de tous ces produits est exhaussée dans le pays d’une manière factice, chaque industrie en particulier, subissant l’influence du milieu où elle se trouve, grevée par ses matières premières et ses instrumens de travail d’une sorte d’impôt qu’elle paie à toutes les autres, se trouve incapable de lutter pour le bas prix avec les industries étrangères qui n’ont pas les mêmes charges à supporter. « La protection qu’on accorde aux mines de fer et de charbon, disait M. Édouard Baines dans sa belle histoire de l’industrie du coton, oblige à protéger les constructeurs de machines, et, en protégeant ces derniers, ont rend indispensable une protection pareille pour les manufacturiers en coton. Le système forme ainsi un grand cercle d’abus, dont toutes les parties se tiennent et doivent se soutenir ou tomber à la fois[1]. » Telle est précisément la condition de l’industrie manufacturière en France. Si elle ne sait pas produire à bas prix, c’est que les droits restrictifs établis à l’importation de toutes les marchandises, et particulièrement des matières brutes, lui font payer cher ce qu’elle consomme. Quoi de plus naturel, et comment serait-il possible qu’il en fût autrement ? Nous avons déjà montré combien le tarif français aggrave à l’intérieur le prix du charbon, de la fonte, du fer, de l’acier, du lin et du chanvre, des laines, des graines oléagineuses, toutes matières qui jouent un si grand rôle dans l’industrie ; nous pourrions montrer des résultats à peu près semblables pour le cuivre, le zinc, le bois, le cuir, la soude, la potasse et beaucoup d’autres. Est-ce avec de telles conditions qu’on peut produire à bon marche ? Notre industrie fût-elle l’égale de l’industrie étrangère,

  1. History of the cotthon manufacture in Great Britain, by Edward Baines.