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pas tout de se complaire dans des théories séduisantes et de s’abandonner à des sentimens de bienveillance universelle, il faut considérer aussi les besoins publics. C’est ce qu’oublient les partisans du libre échange. Renfermés dans leurs spéculations étroites, préoccupés de l’unique objet qu’ils ont en vue, ils ne tiennent pas compte des exigences de la politique qui dominent pourtant celles du commerce. Quand on supposerait donc que l’intérêt bien entendu de l’industrie et du commerce permet l’application immédiate du principe du libre échange, il faudrait encore s’y opposer au nom de l’intérêt plus élevé de la puissance publique Si ce principe doit un jour triompher, et il y a peu d’hommes qui ne l’admettent, ce ne sera que dans un avenir lointain. Ce sera quand notre industrie nationale, fortifiée par de longues épreuves, par des progrès incessans, n’en redoutera plus aucune autre, quand notre marine marchande pourra se mesurer à armes égales avec les premières marines du monde, quand l’état enfin se verra assez riche pour se passer de cette source abondante de revenu que la douane lui ouvre. »

Voilà bien toute la série des raisonnemens que l’on produit aujourd’hui à l’appui du système restrictif. Nous croyons les avoir exposés d’une manière assez fidèle et sans les affaiblir. Reste à voir comment ils se concilient avec la raison et surtout avec les faits. Il ne tiendrait qu’à nous d’y répondre par ces vérités générales de la science que nous rappelions plus haut. Nous dirions : L’hypothèse sur laquelle on s’appuie est tout simplement absurde. Admettre que le pays puisse recevoir une grande quantité de marchandises étrangères sans les payer par un équivalent en marchandises indigènes, c’est admettre l’impossible. Apparemment l’étranger ne nous enverrait pas ses marchandises pour rien. Si nous ne lui rendions pas l’équivalent en produits nationaux, il faudrait donc qu’elles lui fussent toutes payées en numéraire. C’est bien en effet ce qu’on suppose, bien qu’on ne le dise pas toujours ouvertement de peur de se reconnaître sectateur de la théorie de la balance que l’on renie. Eh bien ! admettons pour un instant cette hypothèse. Comment ne voit-on pas que si, par suite d’une exportation inusitée du numéraire, la pénurie s’en faisait sentir dans le pays, ce numéraire serait aussitôt plus recherché ? Devenu relativement plus rare, il serait par cela seul plus cher, ce qui revient à dire que la valeur de toutes les autres marchandises baisserait en proportion. Il arriverait donc de là, naurellement et sans effort, que l’étranger perdrait ses avantages sur nous. Il aurait moins à nous vendre, puisque la baisse relative qui se serait manifestée sur nos produits repousserait les siens, comme aussi, et par la même raison, il trouverait dans notre pays un plus grand nombre d’objets à sa convenance, et qu’il aurait avantage à exporter. L’exportation trouverait donc de toutes parts des alimens nouveaux, en même temps que l’importation perdrait les siens. Et si l’on nous demande quels