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aristocratie. Quand cette situation se fut déclarée, la première famille de bourgeois assez riche pour s’assurer d’une clientelle commerciale, assez peu scrupuleuse, assez adroite pour trahir la bourgeoisie en donnant des espérances au peuple et à l’ancienne noblesse, cette famille de bourgeois, appuyée sur les forces combinées de l’église, de l’aristocratie et de l’empire, put fonder la dynastie de Florence et supprimer au cœur de l’Italie la liberté du moyen-âge. C’est ce qui arriva par les Médicis. La république toutefois ne se rendit pas sans résistance. Il fallut qu’après bien des luttes et des massacres, tout conspirât contre elle pour qu’en 1529 la seigneurie lui fut définitivement imposée. Quand on se rappelle combien d’émigrés partirent pour l’exil, supérieurs à la patrie qui succombait, combien de victimes il fallut égorger pour tuer une pensée qui ne cessait de protester dans la Toscane entière ; quand on voit cette Florence, l’Athènes du moyen-âge, devenue le centre, le foyer de la vie intellectuelle et politique en Italie, cette Florence où des gonfaloniers bimestriels gouvernaient avec la prudence consommée de vieux ministres rompus aux affaires, et qui, à sa dernière heure, après avoir créé les Médicis, avait encore Machiavel pour inspirer sa politique, Michel-Ange pour construire ses forts, et Savonarole pour lui parler de Dieu, on ne peut se défendre d’admirer un si grand exemple de ce que peut la liberté, quelles que soient ses formes et ses vices. Florence a résumé long-temps cette vie multiple de l’Italie qui semblait se refuser à tout nivellement, à toute expression simple et précise, cette intarissable originalité qui rejetait toute loi hormis celle du beau. Toutefois faut-il regretter que la république ait succombé devant les Médicis ? N’est-il pas évident que le triomphe des Strozzi, liés avec vingt cours et riches à soudoyer des armées, n’aurait guère retardé que de quelques années l’avènement d’une dynastie florentine ? La liberté de Florence, d’origine essentiellement municipale comme les seigneuries mêmes, ne put jamais s’étendre hors de la ville. Forte pour détruire comme les guelfes, elle n’eut jamais d’empire sur les villes soumises, qui restèrent toujours ennemies et prêtes à la révolte républicaine, elle appuya mille conspirations sans établir la liberté nulle part ; ville libre, elle était l’ennemie naturelle de toute famille qui visait à l’unité italienne par la royauté. Elle arrêtait les progrès ambitieux des Della Scala, des Castruccio Castracani, des Visconti, des Ladislas. Elle ne manqua pas à ses derniers jours de se coaliser avec l’étranger contre Pise, et une année avant de périr elle était consternée en apprenant que Gênes avait secoué le joug de la France. Telle lut l’attitude de Florence en présence de l’Italie. Sa force fut avant tout une force de résistance, sa liberté au milieu des seigneuries et des républiques fut une liberté brillante, mais isolée.