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annulé lui-même dans l’oisiveté, gardait chez nous un mortel silence, cette véritable école protestante se formait, se perpétuait au-delà du Rhin. Des esprits érudits et droits ramenèrent l’enseignement religieux à ses fonctions les plus pratiques, à ses objets les plus clairs : l’ame immortelle et responsable, Dieu distinct et agissant. Leur science de la lettre les attachait peut-être quelquefois aux détails d’une critique stérile ; mais, le sens commun l’emportant chez eux sur l’imagination, ils suivaient du moins les sûrs erremens de la conscience universelle, et glorifiaient par-dessus tout, dans l’Évangile, l’expression adorable des vérités qui sont le salut et la loi du monde. Il reste encore aujourd’hui quelques-uns de ces maîtres qui avaient façonné la théologie allemande aux habitudes sévères de la philosophie kantienne : Paulus à Heidelberg, Bretschneider à Gotha, Wegscheider à Halle ; leur influence a toujours été plus sérieuse qu’éclatante ; elle a pénétré lentement les générations, on peut dire qu’elle a constitué la croyance vulgaire.

Ce fut justement là le grief qui souleva contre eux ces génies originaux dont la puissance créatrice s’accommodait mal du peu d’efforts qu’il y avait à faire dans un chemin si uni. A côté de l’idéalisme passionné de Schleiermacher, des vastes spéculations de Hegel, qu’était-ce que ce plat rationalisme (platter Rationalismus), comme on le nomma bientôt par mépris ? Les deux illustres rivaux témoignaient presque un égal dédain pour cette humble faculté de l’entendement (Verstand) qui s’arrêtait à des bornes si étroites, et ne lui reconnaissaient pas le droit de monter jusqu’aux sphères où plane la raison (Vernunft). Puis arrivaient les romantiques avec leurs intentions de profondeur et leurs méditations sentimentales, et ceux-ci répugnaient par nature à la sécheresse de la discussion. Ils aimaient la foi primitive en artistes, pendant que les hégéliens la défendaient à titre de politiques indifférens ou de logiciens supérieurs. Enfin les classes populaires, surtout, comme je l’ai déjà rapporté, dans le midi de l’Allemagne, inclinaient vers ce mysticisme assez grossier dont les piétistes ont tiré si bon parti. C’étaient là les obstacles contre lesquels avait à se débattre l’exégèse libérale.

Tel est pourtant le suprême mérite des idées claires qu’à travers tous les accidens de leur fortune elles gagnent invinciblement les majorités la théologie critique tomba comme science, comme système ; mais son esprit s’implanta dans la conscience publique, et la vieille orthodoxie n’obtint pas grand bénéfice de l’accord momentané, du pacte à peu près fictif qu’elle avait conclu avec les philosophes sublimes. Le triomphe de Schleiermacher s’épuisa, celui de Hegel fut subitement interverti et gâté par la cohorte indisciplinée qui marchait à sa suite. Aussitôt que ces glorieux dominateurs ont eu perdu de leur empire, on a bien vu qu’il avait été plus absolu que général. Les coups qu’ils frappaient sur les intelligences d’élite passaient au-dessus de la foule, sans presque