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s’approchait de Fabriano ; elle éclata dans l’église le jour de l’Ascension. Tous1es Chiavelli furent égorgés, on brûla les archives, et François Sforza se rendit maître de la ville. Trois ans plus tard, les horribles scènes de Fabriano se répètent à Foligno, où succombe la dynastie de Trinci. A. Camerino, ce sont les Varrano qu’on égorge en l’église même, et c’est encore François Sforza qui s’empare de Camerino. Un seul enfant, Jules-César Varrano, échappe au massacre : il faillit périr successivement dans l’extermination des Chiavelli à Fabriano, dans celle des Trinci à Foligno ; il rentre toutefois à Camerino, il devient condottiere, et, après avoir vieilli au milieu des dangers, il se trouve en présence d’Alexandre VI et de César Borgia, qui le firent étrangler avec trois de ses fils. Cette fois encore Camerino succombe avec les Varrano, tandis que Fermo, Citta-Castello, Faenza, Forli, Piombino, Pérouse, succombent avec Oliverotto, avec Vitellozzo Vitelli, avec les Manfredi, les Ordelaffi, les Aoouabun, les Baglioni, les Rovere, les Riario, et les vingt familles pourchassées, décimées par les Borgia. Ces tristes exemples prouvent assez ce que nous disions du rôle nouveau des seigneurs, qui finissaient par représenter l’indépendance de la terre, par concentrer en eux sa force et ses haines. Dans la lutte, dans l’essor de toutes les ambitions vers une grandeur sans limite et sans lois, il y eut des états destinés à périr, il y eut des familles régnantes vouées à la mort. Il faut dire aussi que l’indépendance représentée par les seigneurs créait souvent aux petits états de dures exigences. Les Bonacolsi de Mantoue, les Della Scala de Vérone, les Carrare de Padoue, soutenaient des guerres qui duraient de vingt à trente ans. Entourés d’ennemis, ils se trouvaient dans l’alternative de devenir conquérans ou de périr. Pressurées à l’excès, les villes s’insurgeaient, s’alliaient à l’ennemi, sauf à regretter la famille du seigneur aussitôt qu’elles avaient perdu l’indépendance. De là aussi des conquêtes nombreuses et des défaites inouïes dans ce labyrinthe mobile de la politique italienne, où rien n’était sacré, où rien ne pouvait tenir. De là encore ces terribles génies qui s’élèvent, au-dessus de ces individualités sans frein pour les soumettre par la terreur et poursuivre à travers le meurtre et la trahison le rêve toujours insaisissable d’une royauté italienne. Ecelino de Romano, maître de la Marche de Trévise, de Padone, de Vicence, de Vérone, rêvait, vers 1240, la conquête de la Lombardie. Dans sa pensée, c’était encore la conquête du royaume des Longobards ; aussi se flattait-il de surpasser Charlemagne en Italie. Blessé mortellement au moment de sa grandeur, il mourut prisonnier sans qu’on pût lui arracher une parole de regret ou de plainte. Massino II della Scala, seigneur de Vérone, quatre-vingts ans plus tard, envahit les terres d’Ecelino, il y