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excellent à saisir les occasions, à modérer les résolutions extrêmes, à ménager les amours-propres, à rendre faciles les retours d’une volonté qui se dément : c’est le père d’Edmond Lovel. Personne mieux que lui ne sait deviner, à côté de l’orgueil qui exalte, la secrète faiblesse qui fait au besoin justice de ces vains transports. Dans la négociation dont il s’est chargé, il se sent fort de cette passion véhémente et si mal domptée que De Vere croit avoir dissimulée à tous les yeux ; Armé de ce levier, il s’attaque hardiment à l’impérieuse susceptibilité de son ami : en regard d’une alliance dont l’idée blesse ce dernier, M. Lovel lui montre sans cesse la réalisation de ce beau rêve abandonné avec tant de peine : Mount-Sorel rendu aux descendans des De Vere, le vieux domaine reconquis, l’héritière unique ramenée en triomphe dans la glorieuse demeure usurpée sur ses ancêtres. Après une longue lutte, non sans regrets, non sans remords, non sans tristes pressentimens, De Vere finit par céder, et, lorsque M. Higgins consent à faire passer la propriété de Mount-Sorel sur la tête de Reginald, ce dernier est admis comme prétendant auprès de Clarisse.

Est-ce à dire que tout soit terminé, que les deux amans aient subi toutes leurs épreuves ? Roméo Montagu épousera-t-il sans autre forme de procès Juliette Capulet ? Le franc tory, le niveleur, maintenant en présence, sauront-ils long-temps se contraindre, et l’intimité qui fermente secrètement en eux ne débordera-t-elle pas un jour ou l’autre ? Songez donc que les années ont fait leur travail, que le sang de Louis XVI a coulé sur l’échafaud, que l’oligarchie anglaise vacille sur ses larges bases, que les clubs des trois royaumes correspondent avec les jacobins de France, que l’Irlande menace, que le peuple de Londres, arme les milices, sème l’or anglais sur le continent, attestant par ces efforts inouis que l’heure est venue de jouer le tout pour le tout. En de pareilles crises, et quand chacun peut sans folie se croire engagé pour sa fortune, pour son honneur, pour sa vie, croyez-vous facile que les ennemis politiques soient impunément appelés à se voir, à s’entretenir chaque jour ? Non, vraiment. La colère et l’injure empoisonnent l’air qu’on respire ; il ne faut qu’une étincelle pour que leurs mortelles vapeurs, embrassées soudain portent la ruine et la mort de tous côtés ; et malgré la politesse un peu empruntée de Higgins, malgré la réserve formaliste de l’orgueilleux De Vere, un jour ou l’autre, soyez-en sûr, la tempête éclatera.

D’ailleurs, Perrott est là, intéressé à fomenter les ressentimens, à aigrir les esprits, à faire éclore les questions irritantes. Tartufe de démocratie, cynique flatteur, parasite politique, tel est Perrott, type exagéré ;