sans hésiter, d’après les anciennes chartes, les étangs, les bosquets, les donjons. Ici le bois des Druides, là-bas la Fosse-au-Moine, près des taillis de Bevis. Il avait rapporté, fidèlement calquées, les inscriptions placées sur chaque tombe, et prenant un plaisir d’enfant à les déchiffrer une à une pour les transcrire dans le livre où il avait ses annales de famille, notant à la marge, d’un crayon soigneux, la place de chaque pierre, la date inscrire sur l’écusson de bronze, les textes archéologiques dont il s’était aidé pour retrouver le sens de ces hiéroglyphes effacés.
Il était heureux, c’est tout dire. Son cœur avait long-temps recélé une source d’amertume, épanchée sans bruit sur une blessure béante ; maintenant, comme si le bâton du prophète l’eût miraculeusement touché, cette onde amère s’était soudain adoucie et tombait, baume salutaire, sur la cicatrice à peine sensible. Toujours froid, toujours muet, et séparé de la communion de famille par ce secret qui n’avait pas encore franchi ses lèvres, on sentait pourtant émaner de lui une sérénité nouvelle, une douceur inaccoutumée ; Sa voix était moins âpre, ses ordres moins brefs ; ses gestes amollis, même quelquefois caressans, indiquaient le calme, la satisfaction intérieure. Sans se rendre compte de cette influence bénigne, les êtres placés autour de lui, et dont le bonheur tenait au sien participaient à cette vie meilleure, à cette consolante espérance, à ce tiède printemps plus doux après un si long hiver.
Patient par nature et temporisateur par système, — il n’est jamais séant de se hâter, — De Vere n’avait pas manqué néanmoins de préparer l’acquisition en projet. Son homme d’affaires à Londres était au courant de ses intentions relativement à Mount-Sorel, et ce solicitor, renommé pour son exactitude, sa prudence, l’habileté avec laquelle il savait mettre les meilleures chances du côté de ses client, s’était chargé de guetter, sans mot dire, les démarches des gens de loi chargés de la vente, et des concurrens qui se présenteraient. Ses renseignemens, auxquels toute confiance pouvait être accordée, garantissaient les auspices les plus favorables. L’étendue de la terre de Mount-Sorel, son éloignement de toutes les grandes villes, la tendance industrielle les capitaux, le désordre où elle avait été laissée, tout, jusqu’au nom flétri de ses derniers propriétaires, contribuait à écarter les acquéreurs, surtout à diminuer la valeur vénale de ce magnifique domaine. Par avance, en homme rompu à ce genre d’affaires, M. Lawson s’était fait fort, si on lui laissait carte blanche, de conclure à un prix très au-dessous de l’estimation faite par De Vere, et qui se ressentait naturellement de ses vues enthousiastes. Bref, aucun souci sérieux, aucune inquiétude fondée ne troublait dans sa discrète béatitude le solitaire promeneur de Mount-Sorel.