telligences, y provoquent des dissentimens loyaux et avouables que le temps seul et l’esprit de conciliation peuvent suspendre ou terminer. Voilà pourquoi lord John Russell semble aujourd’hui hésiter avant de frayer plus ouvertement sa voie ; il ne recule pas, il s’affermit. Il eût pu sans crainte risquer une dissolution ; les listes actuelles, préparées sous l’influence de la ligue, étaient nécessairement favorables à la liberté commerciale. Il a évité, autant qu’il était en lui, cette commotion, qui pouvait trop violemment détourner le pays ; il est heureux qu’il ait réussi. Le ministère a maintenant le loisir de se consulter et de s’accorder. Lord John Russell l’a déclaré franchement, et c’était encore une nouveauté en même temps qu’une habileté : tous ses collègues ne s’entendent pas sur toutes les questions ; mais ce ne sont pas des questions radicales de doctrine qui les divisent, ce sont des questions d’application particulière : Est-il ou non compatible avec la liberté de restreindre le travail dans les manufactures ? Jusqu’où faut-il pousser le principe d’appropriation pour améliorer l’Irlande aux frais de l’église qu’elle paie sans l’adopter ? Tous ces points sont graves ; mais les circonstances compteront pour beaucoup dans des solutions qui ne sont plus que des solutions de faits et non point de principes. Voici déjà O’Connell qui consentirait à ce que l’état anglican payât le clergé romain : que ne peut-on pas attendre d’ici à six mois ? Dans un banquet public, lord John Russell a solennellement réclamé la patience comme la meilleure assistance qu’on dût lui prêter. Il n’y a que M. Disraéli qui puisse croire maintenant que la patience sera la ruine du pays. Ce n’est pas le pays qui tombe en ruine, c’est l’édifice romanesque imaginé pour l’avenir par l’auteur de Coningsby, c’est la fortune ministérielle qu’il rêvait pour son héros.
— Le Rhin a sa littérature, et on composerait une riche bibliothèque rien qu’avec les plaintives ballades, les merveilleuses légendes, les chansons amoureuses ou guerrières qu’on a murmurées sur ses bords. Chaque année la collection s’augmente, et ce n’est plus seulement en Allemagne, c’est en France aussi que le Rhin trouve des poètes pour le chanter, des touristes complaisans pour le décrire. M. André Delrieu appartient à cette dernière classe ; il vient d’écrire sur le Rhin une monographie agréable[1] qui, sous une forme romanesque, résume et complète la plupart des notions éparses dans les livres nombreux dont le fleuve allemand a fourni le sujet, depuis les savans travaux d’Ebel et de Schreiber jusqu’au Manuel de Richard et à l’Itinéraire de Murray. C’était une heureuse idée que de chercher à dispenser le voyageur de la lecture de compilations savantes, mais diffuses, où l’on s’égarait trop souvent au milieu de renseignemens minutieux, entassés sans ordre et sans méthode. M. Delrieu a bien rempli la tâche modeste qu’il s’était assignée, et la littérature du Rhin compte un amusant volume de plus.
- ↑ Le Rhin, son cours, ses bords, par A. Delrieu, Un vol. in-18, avec 36 dessins ; chez Desessart, rue des Beaux-Arts.