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de la presse scientifique et littéraire ? Les intérêts des lettres et de la pensée sollicitent encore une autre mesure du gouvernement et des chambres : ils demandent, tant à la diplomatie qu’à la législation, l’extinction d’une contrefaçon ruineuse, qui est une des principales causes du triste état où nous voyons aujourd’hui la librairie française. Dans l’ordre politique, l’adjonction des capacités et la réunion des électeurs au chef-lieu sont de plus en plus considérées comme des améliorations utiles, qu’on pourrait se permettre sans témérité. Dans ces derniers temps, plusieurs candidats conservateurs ont témoigné qu’ils n’avaient pour ces deux réformes aucun éloignement systématique. Moins expansif, M. le ministre des affaires étrangères a parlé au banquet de Lisieux avec l’intention évidente d’éviter toutes les questions et tous les faits. Son discours est une espèce de chant de victoire, qui, nous le reconnaissons volontiers, n’a rien d’agressif pour personne. M. Guizot a même la modestie de glorifier surtout un grand acte auquel il n’a pris qu’une part très secondaire, les fortifications de Paris. De la part de l’adversaire de M. Thiers, c’est un procédé du meilleur goût.

Il faut au surplus qu’il y ait chez M. le ministre des affaires étrangères un sentiment bien impérieux de la situation nouvelle où nous entrons, pour qu’il l’ait si ouvertement reconnue. En effet, à travers les très longs développemens de son discours, à travers les artifices et les ruses du langage, on saisit cet aveu formel, qu’après seize années passées à fonder la monarchie de 1830, qui est un gouvernement vraiment libéral, le moment est venu de marcher à des progrès nouveaux. « Bien loin d’en repousser aucun, a dit M. le ministre des affaires étrangères, la politique conservatrice les désire, les acceptera tous. » C’est pour la politique conservatrice une vraie métamorphose ; elle est inévitable, puisque M. Guizot la proclame, puisqu’il l’accepte comme l’indispensable condition de son avenir ministériel. À cette transformation de la politique, M. Guizot ne gagne rien ; son talent est surtout fait pour la lutte : aura-t-il le même éclat, le même crédit, quand les questions commerciales et industrielles occuperont le premier plan de la scène ? Là, les passions n’ont plus la parole, et la part qu’on peut faire aux généralités est bientôt épuisée. Sans doute le talent a toujours des ressources, même en face des difficultés les plus sérieuses : quand il ne les résout pas, il les esquive, il les tourne. Néanmoins il sera laborieux pour un homme d’état éprouvé par de longues fatigues d’aborder des questions, des études nouvelles. C’est un peu tard.

Cette attitude qu’on s’engage à faire prendre au parti conservateur aura pour le cabinet des conséquences qui seront des embarras. Si M. le ministre des affaires étrangères, par un grand effort, entreprend de rajeunir sa politique, tous ses collègues sont-ils en état de le suivre dans cette tentative ? Quelques-uns d’entre eux ne devraient-ils pas céder la place à des capacités plus actives et jouissant dans le parlement d’une autorité nécessaire ? Pour ne citer qu’un exemple, pourra-t-on arriver à d’utiles améliorations financières avec M. Lacave-Laplagne, qui a toujours combattu avec plus d’opiniâtreté que d’à-propos et de succès toutes les réformes, jusqu’aux plus modestes ? D’un autre côté, M. le ministre des affaires étrangères, en inaugurant au banquet de Lisieux une politique de réformes et de progrès, a travaillé, sans peut-être s’en rendre bien compte, à agrandir l’influence de celui de ses collègues qui partage vraiment