Il peut arriver aux hommes les plus actifs, à ceux qui se plaisent le plus au milieu du tourbillon politique, d’éprouver un sentiment de lassitude : alors un peu d’assoupissement dans les esprits et dans les choses ne leur déplairait pas. Cependant la société continue sa marche : inutile ou inopportune sur un point, son activité se porte sur un autre. Ainsi nous avons vu la paix sur le continent augmenter la sollicitude de la France pour sa marine et pour sa domination en Afrique. On lui dit aujourd’hui que le parti conservateur a défendu victorieusement l’ordre social ; elle répond que, s’il en est ainsi, une autre tâche l’attend c’est de quitter la défensive pour prendre l’initiative des réformes nécessaires. C’est là le sentiment général. Telle est bien la pensée à laquelle chacun comprend qu’il faut répondre. Tout conservateur repousse aujourd’hui avec un accent indigné le soupçon qu’il puisse avoir des opinions stationnaires, des préjugés qui le condamnent à rester immobile. D’un autre côté, toutes les oppositions, chacune dans sa nuance et avec son drapeau, ont plus que jamais pour cri de ralliement les mots de réforme et de progrès : elles n’ont garde de ne pas profiter du goût que montre aujourd’hui le pays, non pour une agitation stérile, mais pour un mouvement sage et réglé. Enfin, pour tout le monde, c’est un point établi, le temps des réformes est venu.
Le ministère a trouvé que ces symptômes étaient assez significatifs pour qu’il ne dût pas rester à les contempler sans action et sans voix ; aussi a-t-il eu son manifeste. Nos prévisions n’étaient pas sans fondement quand nous pressentions que le cabinet en face des électeurs voudrait prendre une attitude et une phraséologie pour lui quelque peu nouvelles. On s’est décidé à parler de progrès, d’améliorations et de réformes ; on a fait comme sir Robert Peel, on a pris aux whigs leurs principes et leur vocabulaire : de cette façon, M. Guizot ne sort pas de l’école anglaise. Le discours que M. le ministre des affaires étrangères a prononcé le 26 juillet devant les électeurs de Lisieux nous offre une transformation curieuse. L’orateur y a dépouillé le vieil homme avec une remarquable dextérité. Ce que craignait surtout M. Guizot, c’est qu’on crût qu’il était, soit fatigué, soit aigri par la lutte, qu’il avait l’humeur chagrine et stationnaire. Aussi s’est-il montré libéral et progressif ; nous dirions volontiers qu’il a cherché à se faire jeune et dispos. Il a voulu que l’on comprît qu’il avait toute la force, toute l’énergie nécessaire pour accomplir ce que réclameraient l’esprit de l’époque et les besoins du pays. Seulement sur ces besoins, sur ces exigences, il ne s’est pas expliqué, il n’est entré dans aucuns détails. Ici M. Guizot s’arrête dans son imitation des hommes d’état de l’Angleterre. Chez nos voisins, il serait impossible à un chef de parti ou de cabinet de haranguer ses électeurs sans aborder d’une manière franche et positive les principales questions pendantes devant le pays : c’est pour eux une obligation d’être nets, précis, sans équivoque. Jusqu’à présent, en France, nous sommes moins exigeans. Nous acceptons encore des maximes générales, des considérations pompeuses, comme le fonds suffisant d’une allocution politique. Cependant il y a bien des problèmes dont la solution est mûre. Depuis plus de dix ans, le pays et la chambre des députés réclament la conversion des rentes. La réforme postale, préparée par les consciencieuses études de quelques hommes qui s’y sont voués, veut enfin être accueillie. Verrons-nous encore ajourner la réduction de l’impôt du timbre, d’un impôt qui, pèse sur les produits de l’intelligence, qui entrave les développemens