qu’une sorte de premier vêtement qui sert à recouvrir les muscles et les os ; avant de s’occuper de ce vêtement, l’artiste, comme Prométhée, doit mettre les os à leur place et modeler les muscles qui les recouvrent ; la ligne du milieu doit le préoccuper tout autant que la ligne extérieure ou le contour. — De la part d’une école qui a poussé jusqu’à l’excès l’étude anatomique du modèle humain, ces critiques étaient naturelles ; peut-être avaient-elles quelque fondement. M. Ingres fut ému de cette persistance, et, fatigué en même temps de s’entendre reprocher l’imitation exclusive des qualités secondaires de Raphaël, il conçut le tableau de Saint Symphorien. Cette composition, où domine le style florentin dans toute son âpreté, rappelle, en quelques-unes de ses parties, et principalement dans l’étude si accentuée des membres nus des personnages de la droite et dans le geste énergique de la mère du saint, la manière grandiose et violente de Michel-Ange. La saillie des muscles des bourreaux est extraordinaire ; leur relief, poussé jusqu’à la dureté, et la singularité des attitudes, accusent un souvenir distinct de la manière du peintre de la chapelle Pauline. Le coloris, où les tons sourds dominent, ne manque pas d’une certaine vigueur. On dirait un de ces tableaux dessinés par le peintre du Jugement dernier et peints par Sébastien del Piombo, comme le Christ de Saint-François à Viterbe. La figure du saint et particulièrement l’expression si sublime du regard appartiennent entièrement à M. Ingres, et suffiraient pour constituer l’originalité de l’œuvre. Il n’y a là ni imitation de Raphaël ni réminiscence de Michel-Ange. Ce regard exprime une série de pensées particulières à notre époque, qui, croyante à sa manière, a remplacé les cruelles superstitions du XIVe siècle par une religion plus consolante et plus sublime. Ce Dieu qu’invoque le saint en allant au martyre, c’est un être essentiellement bon et miséricordieux ; ce n’est plus ce Jésus si terrible de Michel-Ange, ni même ce Christ transfiguré de Raphaël.
Le tableau du Martyre de saint Symphorien fut exposé au salon de 1834. C’est le dernier ouvrage de M. Ingres qui ait figuré dans nos expositions annuelles. Des critiques qui pouvaient être motivées au fond, mais amères et blessantes dans la forme, d’inconvenantes manifestations de la part de quelques enfans perdus des écoles dissidentes, et, il faut le dire, la froideur et la surprise avec lesquelles la majeure partie du public avait accueilli son œuvre de prédilection, déterminèrent l’artiste à prendre une de ces résolutions extrêmes que dicte l’amour-propre, et dont l’amour-propre empêche de se départir. Grace au ciel, M. Ingres ne brisa pas ses pinceaux ; mais, s’il continua à produire, il se refusa à cette publicité sans réserve des expositions du Louvre, n’ouvrant son atelier qu’à de longs intervalles et à un petit nombre d’élus. Une telle résolution, qu’a pu motiver cette susceptibilité délicate qui n’appartient qu’aux natures d’élite, était du plus fâcheux