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son extrême décrépitude et son altitude contrainte, et, en quelque sorte, égyptienne, annonce admirablement cette forte et féconde vieillesse, commencement de l’immortalité. Les deux figures allégoriques de l’Iliade et de l’Odyssée, assises sur les degrés du sanctuaire, rappellent les plus heureuses inspirations de l’art grec continué par le génie italien ; mais le coloris de leurs ajustemens n’est-il pas d’une crudité par trop primitive ? Parmi les personnages groupés autour des colonnes et sur les degrés du temple d’Homère glorifié, il en est dont l’attitude est excellente, et dont les têtes, par leur grand caractère, rappellent le peintre de M. Bertin l’aîné et de M. Cherubini ; il en est d’autres, et ce sont malheureusement les plus rapprochées du spectateur, qui semblent privées de vie. Le contour en est sec, le modelé insuffisant, on les croirait découpées à l’emporte-pièce et rapportées sur la toile. La perspective aérienne, et, par suite, le clair-obscur, sont totalement sacrifiés. Les plans ne sont indiqués que par des différences de dimensions, sans tenir compte de la dégradation des tons. Aussi tous ces personnages entre lesquels l’air ne circule pas forment-ils, des deux côtés du tableau, des groupes trop compacts ; et comme tous sont inoccupés, qu’aucune action ne les lie entre eux, et qu’ils regardent tous le spectateur, la partie de la toile qu’ils occupent présente une froideur que le mérite de l’exécution ne parvient pas à sauver. Nous n’aimons pas non plus ces personnages coupés en deux par la bordure, ni ceux dont on ne voit que la tête. M. Ingres paraît affectionner cette disposition, car nous la retrouvons, sur une plus petite échelle, dans le tableau de la Chapelle Sixtine. Là, dans une simple étude, elle peut être supportable, mais, dans une composition de l’importance du plafond d’Homère, cet agencement des personnages, symétriquement échelonnés et groupés en amphithéâtre, est plus étrange qu’heureux. M. Ingres a cherché l’originalité, peut-être l’a-t-il trouvée : cependant nous eussions préféré à des innovations de cette nature une réminiscence plus directe de la majestueuse ordonnance de l’École d’Athènes.

Comme peinture monumentale, l’Apothéose d’Homère n’a donc pas cette ampleur que Raphaël et les grands maîtres de l’école italienne ont mise dans leurs admirables fresques. Cette œuvre distinguée, mais incomplète, critiquée par les uns avec amertume, a été exaltée par les autres à l’égal des chefs-d’œuvre de l’antiquité. De fanatiques admirateurs ont même été jusqu’à dire « qu’elle plaçait si haut son auteur dans l’estime des connaisseurs, qu’il en était qui n’osaient pas témoigner leur admiration tout entière dans la crainte de paraître concéder à la passion ce que la froide postérité peut seule accorder impunément à la justice. » Tout en reconnaissant les hautes qualités de M. Ingres et l’excellence de quelques parties de cette grande composition, nous ne pouvons partager cet enthousiasme peu réfléchi ; nous croyons que l’auteur