joie. Dans ce petit drame, tout de sentiment, la passion est contenue et l’intérêt concentré. Nous aurions donc préféré des attitudes plus simples et moins violentes. Non-seulement le malade cherche à se cacher, mais ses membres, qu’à leur pâleur on prendrait pour ceux d’un cadavre, semblent en proie aux convulsions qui précèdent l’agonie. Le regard du médecin exprime assez éloquemment sa pensée pour que le geste qui l’accompagne soit inutile. Le père, abîmé de douleur, s’est précipité sur le lit, et son visage est à demi caché. Cette réminiscence de l’Agamemnon du peintre grec est heureuse, mais l’ensemble de la figure, jetée dans l’ombre d’une énorme colonne placée au centre du tableau, nous paraît bien sacrifié. Quant à la Stratonice, sa pose est charmante. C’est la Polymnie antique que la passion vient d’animer. Un des poètes qui, après Racine, a le mieux exprimé les nuances les plus exquises de la passion, André Chénier, a composé sur un sujet qui offre beaucoup d’analogie avec la Stratonice de M. Ingres une de ses plus charmantes idylles : nous voulons parler du Jeune malade. L’action de ce petit poème se passe au pied du Ménale ; on l’apprend par les discours des personnages que la muse antique a inspirés et non par de vulgaires effets de mise en scène. Il n’y a pas un seul vers descriptif dans le Jeune malade. Tout est récit ou dialogue. Les personnages ne sont pas seulement sur le premier plan du tableau, ils composent à eux seuls tout le tableau. Le peintre a conçu moins heureusement son sujet : il a donné aux décors et aux accessoires une importance exagérée. Il a mis à la restauration de la chambre du jeune Antiochus la précision d’un architecte et la science d’un archéologue. Le pavé en mosaïque, les colonnes et les murailles peintes, le lit précieusement travaillé, ces draperies éclatantes, ces frises ornées de grecques et de petits personnages copiés d’après les vases antiques, le tableau où l’on voit figurer Hercule étouffant des serpens, la statue d’or d’Alexandre-le-Grand placée sur un piédestal de marbre, les riches cassolettes où des esclaves brûlent des parfums, tout cela est rendu avec une merveilleuse finesse de pinceau ; mais ce luxe de détail est-il bien à sa place ? et quand les accessoires sollicitent si impérieusement l’attention, quand tout paraît sacrifié à l’effet de mise en scène, l’intérêt dramatique n’est-il pas diminué de tout ce qui accroît cet intérêt de curiosité qui ne devrait être que secondaire ?
M. Ingres apporte du reste à l’exécution de chacun de ses tableaux le même soin minutieux que nous ne blâmons dans la Stratonice que parce qu’il est déplacé et qu’il s’applique de préférence aux accessoires. On raconte de Lysippe qu’il déposait une pièce d’or dans un vase chaque fois qu’il terminait un ouvrage, et que, lorsqu’on brisa le vase à sa mort, on y trouva six cent dix pièces d’or. Le vase de M. Ingres ne sera jamais si rempli, à moins qu’on ne fasse entrer en ligne de compte ses charmans