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qui l’avait couronné jadis ; il n’exerça plus dans la seconde chambre son ascendant habituel, il s’irritait de l’avoir perdu, et ses opinions, d’abord si respectées, finirent par soulever une opposition si personnelle, que tout le cabinet dut une fois, en 1839, les prendre à son compte et s’en déclarer solidairement responsable.

Le cabinet lui-même était bien divisé. Tandis que la Saxe faisait effort pour aller au-delà de sa constitution nouvelle, il y avait certains de ses gouvernans qui voulaient reculer en-deçà. M. de Lindenau, combattant l’une et l’autre tendance, ne craignait pas de rester seul ente : les deux camps. Ainsi M. de Koenneritz, le ministre de la justice, s’opiniâtrait à conserver l’ancienne organisation judiciaire ; M. de Lindenau, qui dans la charte même avait promis de la changer, s’obstinait à rappeler sa parole. D’autres membres du ministère, issus de vieille race, favorisaient outre mesure les intérêts aristocratiques ; M. de Lindenau ne cessait de repousser cette invasion des privilégiés qu’il avait si décidément arrêtée. Voilà comment il usait ses forces dans l’intérieur du conseil sans en tirer grand profit pour le dehors, s’aliénant ses collègues sans reconquérir beaucoup l’affection nationale.

Telle était la situation lorsque s’ouvrit la session de 1842-43 ; celle-ci trancha tout. Il devint évident que M. de Lindenau était abandonné par les autres ministres, qui le mettaient en avant et le sacrifiaient pour exploiter ou ruiner son reste d’influence, et lui-même, jouant son dernier enjeu, se compromit plus qu’il n’avait jamais fait vis-à-vis du parlement. Il succomba sous deux questions, qu’il jugeait toujours avec la même rigueur que dix ans plus tôt. Il menaça la presse de quelque grand coup, et, pour mieux combattre la seconde chambre qui réclamait déjà le droit de porter au monarque une adresse officielle, il empêcha la chambre haute de présenter, suivant l’usage, des complimens officieux. M. de Lindenau ne satisfaisait ainsi personne ; il exaspérait toute l’aristocratie, en même temps qu’il blessait au plus vif l’esprit nouveau des démocrates constitutionnels. Appesanti par l’âge et la fatigue, d’une humeur bien plus naturellement conciliante qu’intraitable, M. de Lindenau n’avait point la vigueur qu’il fallait dans un rôle si difficile, et il échoua pour n’avoir consenti ni aux progrès que sollicitait le peuple saxon, ni à la réaction qui se préparait sourdement au sein du cabinet ; il fut écrasé entre ces deux forces aux prises. C’était un libéral sincère, qui malheureusement se retranchait dans un âge déjà écoulé, tout en souffrant de se voir si dépaysé dans celui-ci : triste impasse où les hommes les mieux intentionnés viennent se perdre, quand ils ne savent pas rajeunir à propos leurs bons sentimens. Le 4 septembre 1843, la Gazette de Leipzig annonça que M. de Lindenau, quittant à la fois les affaires et la Saxe, allait vivre en Altenbourg comme simple particulier ; il consacrait généreusement toute sa pension de retraite à