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Une pauvreté libre est un trésor si doux !
Il est si doux, si beau, de s’être fait soi-même,
De devoir tout à soi, tout aux beaux-arts qu’on aime !
Disons-le en passant, M. Ingres a toujours justifié par ses actes cette noble fierté. Nous l’avons entendu soutenir avec éloquence que la dignité de l’homme et la dignité de l’art étaient inséparables.
Le père de M. Ingres, voulant mettre à profit la brillante organisation de son fils, le conduisit, encore enfant, à Toulouse, et le confia aux soins d’un de ses collègues de l’académie de peinture, M. Roques. Ce professeur habile avait séjourné en Italie, et, dans un temps où l’on ne jurait, — en province surtout, où le retour de David vers l’antique était encore ignoré, — que par Vanloo et Fragonard, il étudiait Raphaël avec goût et intelligence. Une belle copie de la madone Alla Seggiola, que M. Roques avait rapportée de Florence, révéla d’un seul coup à M. Ingres ces grandes vérités de l’art qu’il n’avait fait qu’entrevoir. Raphaël devint son modèle de prédilection et presque son idéal, « Raphaël, le peintre par excellence, l’artiste doué d’organes en quelque sorte immatériels, dont l’œil moral et l’œil physique ont joui d’une justesse surhumaine et ont toujours su démêler la ligne juste, la ligne de beauté, qui n’est autre chose que la ligne de nature saisie au point précis, au point où on ne voit ni en trop, ce qui produit le faux et l’outré, ni en moins, ce qui produit la médiocrité et la faiblesse. » C’est ainsi que nous avons entendu M. Ingres définir le génie de Raphaël.
Sous la direction de M. Roques, les progrès du jeune artiste furent rapides, et dès-lors il n’hésita plus sur sa vocation. A onze ans, il obtint à l’académie de Toulouse le grand prix de dessin et les honneurs de l’ovation du Capitole. A seize ans, M. Ingres était maître de son crayon, et dessinait avec une vérité et une précision peu communes. C’est alors qu’il vint à Paris, et, comme dès-lors le patronage académique de l’école était indispensable pour obtenir les prix qui conduisent à Rome, malgré de secrètes répugnances, il entra à l’atelier de David. C’était, je crois, en 1796. Le peintre de Socrate, des Horaces et de Bélisaire, revenu du déplorable enivrement de la terreur, reprenait ses pinceaux. David, qui, dans les clubs et les assemblées, se montrait partisan intraitable d’une liberté sans limites, était, dans son atelier, le plus despote des hommes. M. Ingres ne renonça cependant pas à toute indépendance, et n’accepta que sous certaines réserves la direction d’un maître dont le talent lui inspirait plus d’admiration que de sympathie. Derrière ces préceptes rigoureux, mais qui lui paraissaient conventionnels ; derrière cette étude abstraite du dessin anatomique, astreint à certaines règles mathématiques, M. Ingres entrevoyait toujours Raphaël et sa ligne si vraie, si souple, si correcte dans sa grandeur. Raphaël,