sur la crise actuelle pour qu’on puisse n’en rien dire. La session parlementaire de 1845 ne s’expliquerait point sans la session précédente.
M. Bernard de Lindenau avait été pendant de nombreuses années au service du petit duché de Saxe-Altenbourg et de Saxe-Gotha, lorsqu’il fut appelé en 1830 sur un plus vaste théâtre. C’était par excellence un choix populaire. La réputation du nouveau ministre le devançait au pouvoir ; on lui savait l’ame d’un grand citoyen. M. de Lindenau possédait toutes les qualités du bureaucrate sans avoir l’esprit sec et rétréci. A vrai dire, il se fiait plus au gouvernement du soin d’améliorer le peuple qu’il ne s’en rapportait au peuple lui-même : il eût assez volontiers plus fait pour lui que par lui ; mais il comprenait aussi que l’on s’attache mal à des biens dont on n’est pas l’artisan, et il ne refusait point au pays tout l’usage de ses facultés. Il n’appartenait donc pas précisément à l’école du despotisme éclairé ; sauf la différence des époques, il était plutôt de cette généreuse famille des illustres patriotes qui, après 1807, sauvèrent la Prusse en la régénérant. Comme Stein, comme Hardenberg, il voulait par-dessus tout supprimer les dures injustices de l’ancienne organisation sociale, il voulait l’abolition des privilèges, l’égalité devant la loi, l’affranchissement des classes inférieures ; il avait besoin de règle et d’uniformité dans les fonctions publiques ; il tenait à voir clair partout, dans l’état, dans la commune ; en un mot, s’il lui fallait une réforme politique, c’était proprement par le désir d’une réforme plus radicale du droit administratif et du droit civil. Ce fut là tout le sens de la constitution de 1831. Il n’était pas encore si commode d’appliquer en Saxe ces justes idées de l’ordre moderne ; elles y trouvaient autant de contradicteurs qu’elles en avaient eu jadis en Prusse. On ne s’imagine pas combien de résistances Frédéric-Guillaume III dut briser sous lui. M. de Lindenau fut aussi réduit à lutter contre le vieux corps féodal, contre les municipalités, contre la noblesse surtout, dont il ruinait l’autorité dans les campagnes et diminuait l’affluence dans les emplois. Celle-ci ne lui pardonna jamais. Il l’emporta de guerre lasse ; soutenu par le concours énergique de l’opinion générale. La masse du peuple déchargée, grace à lui, des fardeaux qui l’accablaient, débarrassée de l’odieuse suprématie des grandes familles, le salua pour son libérateur. Au milieu de ce bien-être inattendu dont on jouissait, dans l’orgueil de cette dignité désormais attachée au simple titre de citoyen saxon, personne ne s’avisa d’en demander davantage, et de reprocher au ministre d’avoir gardé par-devers lui des pouvoirs trop considérables, quand il s’en servait d’une façon si méritoire. La session de 1833 fut un triomphe pour M. de Lindenau. Accusé, menacé par un membre de la faction aristocratique, il vit les paysans se lever en masse à la chambre pour le défendre dans un vote d’enthousiasme, et, comme le bruit courait qu’il allait peut-être quitter la place à ses ennemis, la seconde