inutiles ou même vexatoires pour les citoyens. Entraîné dans une voie fatale, Colbert cherchait à se faire illusion à lui-même ; il considérait ces tristes expériences comme des mesures transitoires sur lesquelles il se proposait de revenir à la paix. « Il faut, dit-il dans un de ses mémoires, abolir la ferme du tabac et celle du papier timbré, qui sont préjudiciables au commerce du royaume ; » mais le peuple n’était pas dans la confidence des embarras du ministre. Ce qui le frappait, c’était l’éclosion journalière d’une nouvelle espèce de traitans, qui venaient, au nom d’une taxe nouvelle, soutirer au pauvre quelque argent et le déranger dans ses habitudes. Des désordres qui éclataient sur divers points du royaume trahissaient une dangereuse irritation. Les petits revendeurs de Paris ne pardonnaient pas à l’homme du roi d’avoir donné à bail les échoppes des halles, concédées gratuitement jusqu’alors. A Bordeaux, on s’était révolté à l’occasion du droit de marque sur les poteries d’étain, et pendant trois jours la populace avait tenu les autorités en état de siège. Le monopole du tabac, l’impôt du timbre, avaient ensanglanté la Bretagne. Pau, la Réole, Périgueux, le Mans, avaient eu aussi leurs jours de crise. Force restait à la loi, et le châtiment était impitoyable ; des malheureux, coupables d’un instant d’exaspération, périssaient dans les supplices. Le mécontentement ainsi comprimé tournait à la haine, non contre le brillant monarque, mais contre le rigide financier, responsable, aux yeux du peuple, des actes du gouvernement.
Par un excès d’ingratitude et de perfidie dont on ne trouve d’exemple que dans les cours, le chagrin légitime de Colbert devenait un texte de calomnie : ses ennemis lui attribuaient, comme à Fouquet, des desseins pernicieux. On ne parvint pas à le transformer en conspirateur, mais on réussit à jeter des doutes sur sa probité dans l’esprit du maître. Un jour que le ministre présentait un compte relatif aux travaux de Versailles, le roi l’interrompit sèchement par ces mots : « Il y a là de la friponnerie. — Sire, répondit Colbert, je me flatte au moins que ce mot-là ne s’étend pas jusqu’à moi. — Non, reprit le roi, mais il fallait y avoir plus d’attention. » Malgré cet adoucissement, le coup était porté ; il était mortel. Colbert, déjà fatigué et malade, prit le lit et ne se releva plus. Peu de jours après, la visite d’un gentilhomme, porteur d’une lettre de la main du roi, lui fut annoncée : il fit semblant de dormir pour n’avoir pas à répondre, et plus tard on ne put pas le déterminer à lire la lettre. L’ingratitude de Louis XIV fut le supplice de ses derniers momens ; on l’entendit murmurer ces amères paroles : « Si j’avais fait pour Dieu ce que j’ai fait pour cet homme-là, je serais sauvé deux fois, tandis que je ne sais ce que je vais devenir. » Le 5 septembre 1683, il dicta son testament et appela le jésuite Bourdaloue. Le lendemain, sa mort termina un ministère de vingt-deux années. Le roi crut devoir se