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guerre de trente ans et les troubles de la fronde ne permirent pas aux hommes d’état de songer aux institutions pacifiques. Richelieu et Mazarin ne vécurent que d’expédiens financiers ; ils épuisèrent littéralement le pays pour soutenir sur les champs de bataille leur glorieuse politique, ou pour gagner par des largesses leurs ennemis personnels. La vanité fastueuse de Fouquet poussa le gaspillage aux derniers excès. Dans le calme réparateur qui suivit la paix des Pyrénées, on sentit le besoin d’un nouveau but d’activité. Le temps était venu de songer à ce qu’on appelle aujourd’hui les intérêts matériels. Colbert entrait donc au ministère avec un programme tracé, pour ainsi dire, par le vœu public : il réunissait toutes les qualités nécessaires pour l’exécuter.

À ce point de vue, l’opinion traditionnelle sur Colbert se modifie. On trouve une sévérité injuste dans le jugement de son nouvel historien, qui le déclare « homme de détails et d’action, n’ayant ni le coup d’œil assez élevé, ni le génie nécessaire pour découvrir les vices du système où il s’était si résolument engagé. » Le prétendu système du ministre de Louis XIV était tout simplement l’expérience et la pratique générale de son temps. Pour être un grand administrateur, il n’est pas nécessaire de devancer les âges et de pressentir ce que les siècles futurs préconiseront comme le dernier terme du progrès : mieux vaut comprendre son époque et réaliser franchement les améliorations qu’elle comporte. En présence des nations rivales qui prospéraient sous l’empire des lois prohibitives, Colbert entreprit d’affermir l’industrie française sur les mêmes bases : se fût-il élevé jusqu’à la conception de la liberté commerciale, il y aurait eu folie de sa part à la mettre en pratique sans espoir d’une équitable réciprocité. Si le mot de colbertisme est resté consacré dans l’histoire de la science, ce n’est pas que l’idée d’écarter la concurrence étrangère au moyen des douanes ait été introduite par Colbert c’est parce que ce grand ministre, résumant les doctrines en crédit, maniant les hommes et les choses avec une puissance de volonté extraordinaire, a donné aux mesures prohibitives l’enchaînement et la solidité d’un système.

La réforme industrielle embrassa trois points : 1° renouvellement des corporations d’artisans, de manière à relâcher les entraves qui paralysaient les travailleurs, tout en conservant une forte discipline ; 2° surveillance des produits des manufactures, surtout en ce qui concernait la longueur, la largeur, la teinture et la qualité des étoffes, dans l’espoir de corriger les habitudes frauduleuses qui nuisaient au commerce français sur les marchés étrangers ; 3° tarif de douane, combiné de manière à favoriser la sortie des productions naturelles à la France, à attirer les matières propres à alimenter l’activité intérieure, et à repousser par des droits élevés les produits similaires des ateliers étrangers. Il ne résulte pas des critiques de M. Clément que Colbert, en reconstituant les