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long-temps avantageux aux deux pays, était devenu plein de déceptions et de périls.

Entre la Hollande et la France, les relations n’étaient gênées, avant Colbert, par aucune mesure vexatoire. Les tarifs hollandais, combinés d’après les besoins toujours croissans d’une république menacée, n’avaient pas du moins le caractère d’une prohibition systématique ; mais, avec son capital déjà prépondérant et ses institutions mercantiles, avec la vigilance et l’âpreté de ses négocians, la Hollande avait tout avantage à cette liberté réciproque. Sans avoir précisément à se plaindre, le commerce français voyait avec envie les spéculateurs bataves s’insinuer partout, profiter de toutes les fautes de leurs rivaux. On comparait l’inertie de l’administration française avec l’habileté des marchands qui gouvernaient la république. On déplorait, par exemple, la ruine de nos pêcheries, qui, envahies subtilement par les Hollandais, étaient devenues, suivant une expression proverbiale, le Pérou des Provinces-Unies.

Entre ces concurrens jaloux et perfides, le commerce français, avant Colbert, sans direction, sans surveillance de la part de l’autorité, se trouvait évidemment désarmé. Les péages intérieurs, multipliés sous les dénominations les plus bizarres, surchargeaient le prix des marchandises au point de nuire considérablement à l’exportation. Quant à ce qu’on appelait les traites foraines, c’est-à-dire les droits perçus à l’entrée ou à la sortie du royaume, ils étaient d’invention assez récente. Formé lentement par le démembrement des principautés féodales, le domaine monarchique, le royaume proprement dit, n’avait eu que des frontières mobiles. A l’exception de quelques édits rendus, au moyen-âge, pour empêcher la sortie des matières premières ; d’un droit frappé, en 1393, sur les tissus de Flandre ; de quelques taxes établies arbitrairement sur les drogueries, les épiceries et les étoffes de luxe, on s’abstint, jusqu’au règne de Henri III, d’intervenir dans les échanges avec l’étranger. En 1581 parut le premier édit qui atteignit dans son ensemble le commerce extérieur. Un léger droit de 2 pour 100 sur les valeurs déclarées fut frappé, sans distinction, sur les marchandises introduites en France. En 1621, on multiplia les bureaux de douanes, afin d’affermer ce genre de revenu avec plus d’avantage ; mais beaucoup de provinces, et surtout celles qui étaient nouvellement incorporées, se refusèrent à cet arrangement. Cette résistance, qu’on n’essaya pas de vaincre, subdivisa le royaume en provinces dites des cinq grosses fermes, et en provinces considérées comme étrangères, parce qu’elles prétendaient conserver leurs anciennes coutumes en matière d’impôts.

Il résulte de cet aperçu que l’industrie française, avant Colbert, était écrasée par des charges considérables, et que l’impôt, au lieu d’être combiné dans un intérêt national, suivant l’exemple donné déjà par les étrangers, tendait à favoriser les concurrens de la France plutôt que