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Le pays qui trouve son compte aujourd’hui à préconiser la liberté des échanges ne se contenta pas d’inventer le régime prohibitif ; il en fit l’essai de la manière la plus brutale. Dès le XVe siècle, l’Angleterre avait prohibé la sortie de diverses matières propres à alimenter les fabriques étrangères, et notamment des laines et des peaux de mouton. À l’époque où écrivait Montchrestien, la défense venait d’être levée en faveur d’une compagnie, mais maintenue avec un redoublement de sévérité à l’égard des Français. La contravention à cet ordre attirait sur le coupable un châtiment très sévère : en Irlande, un marchand étranger atteint et convaincu d’avoir acheté des laines pour l’exportation aurait eu le bras coupé. Les marchandises dont la sortie n’était pas prohibée, comme l’étain, subissaient un droit porté au double pour les étrangers que pour les négocians du pays. Tous les draps français, sans exception, étaient repoussés par l’Angleterre. « Au contraire, dit Montchrestien, les Anglais apportent en France en pleine liberté toutes et telles draperies qu’il leur plaît, voire en si grande quantité que nos ouvriers sont maintenant contraints de prendre un autre métier, et bien souvent de mendier leur pain. » Tout article que la fabrique nationale avait facilité de reproduire était brutalement chassé du marché : la mercerie, qui comprenait un grand nombre d’objets de toilette, spécialité parisienne justement renommée jusqu’alors, avait été ainsi frappée d’exclusion. Les coups de la prohibition étaient arbitraires ; c’étaient des avanies à la manière turque, qu’on ne pouvait prévoir ni éviter, et qui tombaient sur nos commerçans avec une sorte de préférence. Non-seulement les marchandises françaises, mais le Français lui-même était tarifé dans les bureaux des douanes britanniques : il devait payer cinq sols à l’entrée et trente sols à la sortie, indépendamment d’un impôt spécial, s’il fondait un établissement dans le pays. L’autorité anglaise ne permettait pas à nos compatriotes de trafiquer en chambre, ce que les insulaires faisaient le plus ordinairement chez nous. Défense était faite aux Français de vendre ou d’acheter dans les foires ; ils ne devaient contracter qu’avec des bourgeois domiciliés, et pour certaines denrées, avec des compagnies privilégiées. Ainsi, au lieu de vendre les vins directement aux taverniers ou aux consommateurs, les négocians français ne pouvaient traiter qu’avec une compagnie spéciale, qui abusait scandaleusement de son monopole pour faire la loi aux vendeurs. Bien plus, le pourvoyeur de la cour avait droit de descendre, au nom du roi, dans les caves de nos marchands et de faire son choix avant tout autre acheteur, en dictant lui-même les prix selon sa conscience ! Il serait