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seuls. Puis enfin, comme s’il fallait, pour fortifier le sentiment national, qu’il passât par l’appréhension de toutes les tyrannies, Dresde a vu défiler le long et triste cortége des martyrs polonais : de Pologne en France, Dresde est pour eux la première étape libérale sur le chemin de l’exil ; aussi l’espionnage moscovite s’y tient-il en permanence, et trop fréquemment il y commande par des agens attitrés. Chose singulière, pas une diplomatie n’y pèse d’un poids si lourd que la sienne. Le pays s’indigne de ces exigences implacables, et l’opinion venge les proscrits des rigueurs de la police. Le nom russe soulève là presque autant d’horreur qu’à Kœnigsberg. Contre Pétersbourg, contre Vienne, contre Berlin, la Saxe n’a de recours que dans sa charte, qui la fait d’un autre monde ; plus solidement elle s’y rattache, mieux elle s’unit à cette fédération constitutionnelle qui pourrait bien un jour s’ériger au sein de la fédération allemande et la diviser, si la Prusse hésitait encore beaucoup avant d’adopter les mêmes couleurs.

La charte saxonne ressemble d’assez près à celles de Bade, de Wurtemberg ou de Bavière ; elle n’est absolument ni meilleure ni pire. Les chambres ne sont convoquées que de trois ans en trois ans ; Bade est le seul état qui ne mette qu’une année d’intervalle entre leurs sessions ; mais la législature badoise est de toutes les législatures allemandes celle qui s’écarte le plus, par son organisation, des souvenirs du moyen-âge elle ne leur laisse de place que dans la première chambre, où les membres des anciennes familles seigneuriales viennent former un corps ; tous les députés de la seconde sont nommés sans distinction de classe ni de caste. Cette distinction, plus tenace en Wurtemberg, où les propriétaires-chevaliers ont leurs élections à part, l’est encore davantage en Bavière, où le privilège aristocratique conserve de nombreux représentans, où les villes et les campagnes ne votent jamais en commun, et restent isolées les unes des autres, ainsi qu’en Angleterre les bourgs et les comtés. En Saxe, ces différences sont bien autrement marquées, la seconde chambre saxonne n’est guère qu’une assemblée d’états, et, si la force du temps n’obligeait les élémens qui la composent à se fondre dans un même esprit, ils s’useraient peut-être en rivalités misérables, tant on les a soigneusement opposés. L’article 68 de la constitution porte expressément : « Il entre dans la seconde chambre vingt députés des propriétaires de biens nobles, vingt-cinq députés des villes, vingt-cinq députés des paysans, cinq députés du commerce et des fabriques. » - On aime à croire, sans doute, qu’on donne ainsi une voix plus assurée à tous les intérêts sociaux. En somme, on ne fait rien que les grouper, comme s’il était bon que leur diversité créât toujours des dissidences politiques. Vis-à-vis de l’état moderne, il n’y a plus ni gentilhommerie, ni marchandise, ni labourage ; il n’y a que des citoyens. L’erreur est fâcheuse ; elle l’est moins pourtant dans un pays où l’on ne compte pas deux millions