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triomphante. Colbert, à peine connu de la foule, rencontra moins de résistance que Sully et Mazarin au faîte du pouvoir. Une chasse aux larrons, comme disait le peuple, c’est-à-dire une enquête judiciaire, est ordonnée contre les hommes d’argent soupçonnés d’avoir abusé de la détresse du trésor. La chambre de justice atteint plus de cinq cents suspects, et fait rentrer en peu de temps 110 millions : expédient despotique, à peine excusé par le brigandage et l’insolence des spéculateurs de cette époque. Un coup plus hardi est la banqueroute faite à la bourgeoisie parisienne, opération déguisée sous le nom de révision des rentes, et qui procure une économie annuelle d’environ 8 millions de livres. Les contrats, en vertu desquels les octrois d’un grand nombre de villes ont été aliénés à des compagnies, sont cassés, malgré les réclamations des légitimes créanciers, malgré les doléances des villes qui protestent au nom de leurs franchises municipales. Les amendes contre les usurpateurs de noblesse, c’est-à-dire contre la plupart de ceux qui ont eu la naïveté d’acheter des titres nobiliaires, ramènent encore quelques millions. Les droits de ceux qui occupent les charges vénales sont également soumis à la vérification. Beaucoup de fonctions au moins inutiles sont supprimées avec des indemnités souvent insuffisantes. De là un double avantage pour le trésor, économie des intérêts qu’il fallait servir sous forme de traitement, et augmentation du nombre des contribuables en faisant rentrer sous le droit commun les familles exemptées de l’impôt en vertu de leurs titres. Toutes ces mesures, parfois illégales, souvent cruelles, sont des expédiens révolutionnaires auxquels le bon sens public applaudit. Le mal en est venu à cet excès où un traitement prompt et énergique semble nécessaire, même à ceux qui doivent en souffrir.

Soit que sous l’aspérité de ses formes le ministre cachât des sympathies généreuses, soit qu’il combattît les privilèges au seul profit du trésor, Colbert ne perdit pas de vue les intérêts des classes réduites à gagner le pain quotidien. Une des entreprises qui lui fit le plus d’honneur, bien qu’elle n’eût pas obtenu un plein succès, fut la réforme du système des tailles. De personnelle qu’elle était, Colbert aurait voulu que la taille devînt réelle, c’est-à-dire proportionnée à la réalité de la fortune, sans distinction de noblesse ou de roture. Un tel projet n’était alors qu’une audacieuse utopie ; il devait soulever des difficultés insurmontables. L’exemption de l’impôt foncier était un des signes de la noblesse féodale. Le roturier payait, non pas comme citoyen, mais en qualité d’homme du roi ; le gentilhomme ne devait rien, parce qu’il s’appartenait à lui-même. Jusque dans les provinces de droit romain, où la contribution était assise par exception sur les terres, les domaines réputés nobles ne devaient rien au fisc royal. Comment faire comprendre au seigneur que lui, homme de qualité, devait se reconnaître