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jurisprudence civile et de la procédure, il débute dans la vie administrative en acceptant une place modeste qui lui est offerte dans les bureaux d’un sieur Sabatier, trésorier des parties casuelles, c’est-à-dire receveur des droits perçus à la mutation des offices. Dans ces divers emplois, la régularité de sa conduite, son intelligence et son caractère également solides sont remarqués par des personnages puissans ; enfin en 1649, à l’âge de trente ans, il se trouve introduit, par l’entremise d’un de ses parens, dans la maison d’un homme qui vient d’être frappé par une sentence d’exil perpétuel, et qui néanmoins sera bientôt le maître de la France : chez le cardinal Mazarin. Colbert est un de ces hommes pénétrans et résolus qui, dans toutes les situations, ont l’art de se rendre nécessaires. A peine au service du cardinal, il saisit, suivant la dédaigneuse expression de Fouquet, « la bourse et le cœur de son maître ; » sa correspondance nous le montre sous les aspects les plus divers, habile et zélé dans tous les rôles. Intendant, il flatte l’avarice du cardinal par l’économie de quelques écus ; agent politique, il déploie autant de subtilité que d’énergie contre les ennemis du premier ministre. Mazarin meurt. Louis XIV, impatient de régner, a besoin d’un conseiller discret qui fasse luire la lumière à ses yeux. Son choix s’arrête sur Colbert, que le cardinal mourant lui a recommandé, et dont il a pu apprécier par lui-même le zèle et les connaissances. Un homme admis à l’honneur de travailler confidentiellement avec le jeune prince ne devait pas tarder à obtenir publiquement ses entrées au conseil. Nommé successivement contrôleur-général des finances, surintendant des bâtimens, ministre du commerce et de la marine, pourvu de plusieurs charges accessoires, le fils du négociant de Reims devint bientôt, après le roi, le plus puissant personnage du royaume.

La fortune matérielle de Colbert ne fut pas moins prodigieuse que son avancement politique. L’abnégation n’était pas la vertu des fonctionnaires de l’ancienne monarchie, et l’intendant de Mazarin entendait trop bien le positif des affaires pour négliger ses intérêts personnels. A peine entré chez le cardinal, on le voit exploiter l’influence que lui donne ce puissant patronage. Vers 1650, un partisan nommé Jacques Charron, sieur de Ménars, qui, suivant la chronique, « de tonnelier et courtier de vins, était devenu trésorier de l’extraordinaire des guerres, » était menacé d’une taxe considérable à titre de restitution. Colbert, dit-on, le fit exempter, et, pour prix de ce service, obtint la main de sa fille, qui était nue des plus riches héritières de la capitale. Ce coup de fortune n’empêcha pas l’intendant de glisser de temps en temps dans sa correspondance une phrase pour demander quelque petite abbaye d’environ 4.000 liv. de rentes. Il ne perdit pas pour attendre, et reçut plus tard un bénéfice de 8,000 livres. Six ans de service chez le cardinal lui suffirent pour procurer à ses frères, oncles et cousins, des