Quand on considère la conduite de l’Angleterre dans la question de la traite, quand on la voit, durant près d’un demi-siècle et à travers les préoccupations les plus pressantes, combattre le trafic des noirs avec la même persévérance, il est difficile de mettre en doute que l’intérêt n’ait pas eu dans un pareil zèle au moins autant de part que la philanthropie. Assurément M. Guizot avait raison de proclamer à la tribune de la chambre des députés, le 22 janvier 1842, que « c’était un mouvement moral, un ardent désir de mettre fin à un trafic honteux, d’affranchir une portion de l’humanité, qui avait lancé et accompli cette œuvre ; » mais M. Guizot n’indiquait là qu’un des côtés de la question, et lord Palmerston complétait en quelque sorte les paroles de notre ministre des affaires étrangères, quand il disait, quelques jours après, que, pour l’abolition de la traite comme pour la plupart des affaires de ce monde, la vertu avait porté sa récompense avec elle, car l’abolition de la traite avait beaucoup servi au développement de la marine et du commerce britanniques. Il faut en effet bien distinguer des actes postérieurs du gouvernement anglais l’initiative des premiers abolitionistes. Même parmi ceux-ci, les plus perspicaces avaient prévu et annoncé que cette révolution, commencée au nom de l’humanité outragée et sous les inspirations de la charité la plus pure, deviendrait bientôt une utile et avantageuse révolution commerciale. C’est ce qui n’a pas tardé d’arriver. Le trafic des esclaves sur les côtes de l’Afrique a fait place, partout où il a été détruit, à un commerce plus légitime, tout aussi lucratif, et, comme la Grande-Bretagne a plus qu’aucune autre puissance travaillé à opérer cette transformation, c’est aussi sa marine et son commerce qui en ont le plus largement profité ; elle a ainsi recueilli le fruit de ses efforts si long-temps improductifs : en effet, comment supposer au gouvernement le plus prévoyant, le plus calculateur du monde, un mobile purement philanthropique ? Une telle supposition ne pourrait tenir longtemps devant l’examen des actes divers par lesquels l’Angleterre a cherché à obtenir l’abolition de la traite. Ne voit-on pas ce gouvernement, bien que tombé dans les mains des plus opiniâtres adversaires de cette mesure, qu’ils avaient combattue jusqu’au dernier moment, entreprendre, aussitôt qu’elle est devenue la loi du pays, de la faire adopter par toutes les autres nations ? Alors, comme par enchantement, l’abolition de la traite cesse d’être une question d’humanité pour devenir une question politique exploitée par l’Angleterre dans l’intérêt de sa puissance et de sa richesse.
La suppression de la traite devait infailliblement amener de graves et irrémédiables perturbations dans la condition et le régime économique