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logique et d’éloquence. Quant à la prétention de forcer par là les pays où l’esclavage existe encore à l’abolir, elle était exorbitante et déraisonnable. De quel droit l’Angleterre voudrait-elle entreprendre de réformer la législation des autres pays ? C’était vouloir de gaieté de cœur rendre ridicule et haïssable la philanthropie anglaise ; c’était travailler à mettre partout l’esclavage sous la protection du sentiment le plus respectable, celui de l’indépendance nationale. « Mais quoi ! disait lord John Russell, vous tirez une grande quantité de marchandises de différentes contrées dont les unes sont dans un état de civilisation très peu avancée, et sont soumises à des chefs barbares qui exercent sur des millions de sujets un droit despotique de vie et de mort, et souvent se signalent par d’horribles cruautés. Demandez-vous d’où viennent ces marchandises, lorsqu’elles sont présentées à vos douanes ? Non. Vous prenez les marchandises pour ce qu’elles sont, et en retour vous envoyez vos produits. Je crois, pour ma part, que le mieux est de laisser le commerce suivre son cours naturel, et de ne pas se mêler des institutions intérieures des pays étrangers. Adopter la marche contraire, c’est s’exposer à voir les autres états user de représailles à notre égard. Le Brésil et l’Espagne ne manqueront pas, soyez-en sûrs, de prendre leur revanche dans la circonstance présente, et d’adopter contre nous des tarifs hostiles… Vous voulez, continuait lord John Russell avec une admirable ironie, vous voulez baser vos tarifs sur des principes de moralité ! autant vaudrait dire que vous allez ériger des chaires dans vos bureaux de douanes, et y faire prêcher par les douaniers la doctrine de l’abolition de l’esclavage. » Enfin, s’élevant aux plus hautes considérations du droit public, il disait en terminant son discours : « Ce ne sont ni les tarifs hostiles, ni le droit de recherche, ni les croisières, ni les négociations menaçantes qui ont aboli l’esclavage dans les colonies anglaises ; c’est l’opinion publique, la conscience du pays, éclairée par les principes de justice, de morale, de religion et d’humanité. L’intimidation, la force, les tarifs prohibitifs, ne feront que retarder les progrès de l’opinion au Brésil. La raison en est toute simple : au principe de l’esclavage se rattache l’esprit d’indépendance nationale, et les Brésiliens soutiendront l’esclavage pour défendre les droits de leur nationalité. On prétend que le maintien des droits prohibitifs a pour but de ruiner l’esclavage ; mais l’esclavage n’est ici qu’un prétexte, attendu que ces droits étaient déjà établis avant l’abolition de l’esclavage dans les colonies anglaises. Ces droits sont conservés uniquement dans l’intérêt d’une classe privilégiée. »

Tels sont en résumé les principes qui ont dicté le bill présenté au parlement. Comme l’avait bien prévu lord John Russell, la question des sucres n’était pas seulement un débat entre un monopole et la liberté du commerce, ce n’était pas seulement une question de tarif ; elle