LES FEMMES DU CAIRE. 37
dans ces races primitives. Abdel-Kérim, me voyant indécis et croyant qu’elles ne me plaisaient pas, en fit entrer une autre qui, d’un pas indolent, alla prendre place près du mur.
Je poussai un cri d’enthousiasme ; je venais de reconnaître l’œil en amande, la paupière oblique des Javanaises, dont j’avais vu des peintures en Hollande ; — comme carnation, cette femme appartenait évidemment à la race jaune. Je ne sais quel goût de l’étrange et de l’imprévu, dont je ne pus me défendre, me décida en sa faveur. Elle était fort belle du reste et d’une solidité de formes qu’on ne craignait pas de laisser admirer ; l’éclat métallique de ses yeux, la blancheur de ses dents, la distinction des mains et la longueur des cheveux d’un ton d’acajou sombre, qu’on me fit voir en ôtant son tarbouch, ne laissaient rien à objecter aux éloges qu’Abdel-Kérim exprimait en s’écriant : Bono ! Bono !
Nous redescendîmes et nous causâmes avec l’aide d’Abdallah. Cette femme était arrivée la veille à la suite de la caravane, et n’était chez Abdel-Kérim que depuis ce temps. — Elle avait été prise toute jeune, dans l’archipel indien, par des corsaires de l’iman de Mascate.
— Mais, dis-je à Abdallah, si Abdel-Kérim l’a mise hier avec ses femmes…
— Eh bien ! répondit le drogman en ouvrant des yeux étonnés.
Je vis que mon observation paraissait médiocre.
— Croyez-vous, dit Abdallah, entrant enfin dans mon idée, que ses femmes légitimes le laisseraient faire la cour à d’autres ?… Et puis un marchand, songez-y donc ! Si cela se savait, il perdrait toute sa clientelle.
C’était une bonne raison. Abdallah me jura de plus qu’Abdel-Kérim, comme bon musulman, avait dû passer la nuit en prières à la mosquée, vu la solennité de la fête de Mahomet.
Il ne restait plus qu’à parler du prix. On demanda cinq bourses (625 francs) ; j’eus l’idée d’offrir seulement quatre bourses ; mais, en songeant que c’était marchander une femme, ce sentiment me parut bas. De plus, Abdallah me fit observer qu’un marchand turc n’avait jamais deux prix.
Je demandai son nom, — j’achetais le nom aussi naturellement : — Z’t’n’b ! dit Abdel-Kérim. — Z’t’n’b, répéta Abdallah avec un grand effort de contraction nasale. Je ne pouvais pas comprendre que l’éternuement de quatre consonnes représentât un nom. Il me fallut quelque temps pour deviner que cela pouvait se prononcer Zetnëby.
Nous quittâmes Abdel-Kérim, après avoir donné des arrhes, pour aller chercher la somme qui reposait à mon compte chez un banquier du quartier franc.
En traversant la place de l’Esbekieh, nous assistâmes à un spectacle extraordinaire. Une grande foule était rassemblée pour voir la céré-